Henri Laborit

 

Un article de Livingstone.

Essences de la pensée de Henri Laborit

S'il est difficile de concevoir dans les rapports humains l'anarchie des comportements instinctifs, par contre l'anarchie des schémas conceptuels est certainement plus apte que le formalisme à déboucher sur des solutions neuves.

Il restera encore à les expérimenter pour choisir le plus efficace, ce qui est souvent possible dans les sciences fondamentales, beaucoup plus difficilement réalisable dans les sciences dites humaines.

L'anarchie conceptuelle pourrait ainsi s'appeler imagination. Elle s'exprime par la multiplicité des modèles.

Comprise ainsi, l'anarchie ne serait absolument pas caractérisée par le chaos, mais bien plutôt par la diversité et la richesse des structures imaginaires. C'est le brain storming des Anglo-Saxons. À nous ensuite de découvrir la structure qui les réunit, les dynamise et les englobe en un niveau supérieur d'organisation.

Savoir que chacune de nos pensées, de nos actions sont commandées par nos motivations inconscientes, n'est-ce pas la seule façon de prendre une certaine distance à leur égard ?

Si nous ne sommes pas responsables de nos actes, nous pouvons faire n'importe quoi, non? Et bien, justement, non : nous ne faisons pas n'importe quoi à moins d'avoir la chance d'être fou : nous agissons toujours selon une raison inconsciente, et selon Laborit, cette raison est la recherche de l'équilibre biologique.

Cette motivation est ensuite maquillée par la raison, qui lui trouvera un alibi.

L'illusion de la liberté repose sur l'ignorance des déterminismes des comportements.

Plus on est conscient et plus on est libre. La conscience nous sort de la prison de nos automatismes. Ce concept est d'ailleurs traité dans les livres d'Henry Laborit. Le bonheur est différent avec la conscience.

Il est plus explicite et superficiel dans la faible conscience mais combien plus intense dans la conscience. Donc la vraie liberté, c'est d'être conscient. Et là, même si on me mettait en prison, je serai toujours libre d'explorer mon intérieur.

Quel que soit le milieu social qui voit naître l'enfant et qui entoure les premières années de son existence, ce qui va organiser cet apprentissage de la vie sociale, ce sont essentiellement les pulsions fondamentales et spécifiques, celles qui résultent de l'organisation de sa matrice biologique, de son système nerveux le plus primitif, de tous ses centres sous-corticaux...

Si l'individu peut parfois avoir conscience de son aliénation au monde de ses semblables, s'il peut souvent souffrir d'un manque de liberté du fait de l'existence des autres, il n'a pas conscience par contre du fait que ce prétendu manque de liberté vient en réalité de sa soumission, de même que de la soumission des autres, aux mécanismes affectifs, c'est-à-dire au fonctionnement de la partie la plus inconsciente du système nerveux.

Ce qu'on nomme liberté, c'est en fait la possibilité de se soumettre au déterminisme inconscient de son cerveau préhumain. Cette possibilité se heurte au déterminisme inconscient du cerveau préhumain des autres, cherchant eux aussi ce qu'ils croient être leur liberté.

Voilà donc la Personne, cette matrice engrammée par le bruit des autres, bousculée entre un déterminisme social et le déterminisme biologique. Elle nomme aliénation le déterminisme social parce qu'il s'oppose à l'autre, le déterminisme biologique inconscient, celui de sa vie affective.

Mais cette matrice biologique, inconsciente de ses pulsions qui ne s'expriment pas dans un langage logico-mathématique et ne se révèlent à elle que sous la forme vaso-motrice et neuro-végétative des émotions, elle souffre de ses aliénations sociales, sans éprouver celles dont elle est victime dans sa structure même. En nous rien n'est à nous, rien n'est de nous. Tout est aux autres, tout est les autres.

A trier

(recopié de WP) Dès la première page de son livre « Inhibition de l'action » (Masson, Paris, 1980), le Professeur Henri Laborit (1914-1995) évoque le PBD (programme biologique de survie) : « Quand l'action [pour résoudre un conflit] est impossible, l'inhibition de l'action permet encore la survie puisqu'elle évite parfois la destruction, le nivellement entropique avec l'environnement. C'est en ce sens que la « maladie » [les guillemets sont de Laborit] sous toutes ses formes peut être considérée comme un moindre mal, comme un sursis donné à l'organisme avant de disparaître.» (...) « Le manichéisme qui caractérise la majorité des conduites humaines ne permet d'envisager jusqu'ici que deux conduites à l'égard de la maladie : l'une consiste à agir sur l'organisme malade en ignorant son environnement, l'autre à agir sur l'environnement en croyant que cela suffira à résoudre tous les problèmes organiques. Il serait sans doute préférable dans certains cas, pour traiter un ulcère d'estomac, d'éloigner la belle-mère par exemple plutôt que de pratiquer une gastrectomie qui ne changera rien au facteur environnemental." (...) "Nous sommes les autres, c'est-à-dire que nous sommes devenus avec le temps ce que les autres - nos parents, les membres de notre famille, nos éducateurs - ont fait de nous, consciemment ou non. Nous sommes donc toujours influencés, le plus souvent à notre insu, par les divers systèmes dont nous faisons partie."

  • "L'Homme est enfin, on peut le supposer, le seul animal qui sache qu'il doit mourir. Ses luttes journalières compétitives, sa recherche du bien-être à travers l'ascension hiérarchique, son travail machinal accablant, lui laissent peu de temps pour penser à la mort, à sa mort. C'est dommage, car l'angoisse qui en résulte est sans doute la motivation la plus puissante à la créativité. Celle-ci n'est-elle pas en effet une recherche de la compréhension, du pourquoi et du comment du monde, et chaque découverte ne nous permet-elle pas d'arracher un lambeau au linceul de la mort ? N'est-ce pas ainsi que l'on peut comprendre qu'en son absence celui qui "gagne" sa vie la perd ?"
  • "Beaucoup d'entre nous mourront ainsi sans jamais être nés à leur humanité, ayant confiné leurs systèmes associatifs à l'innovation marchande, en couvrant de mots la nudité simpliste de leur inconscient dominateur."
  • "Confronté à une épreuve, l'homme ne dispose que de trois choix : 1) combattre ; 2) ne rien faire ; 3) fuir."
  • "Le tragique de la destinée humaine ne vient-il pas de ce que l'homme comprend qu'il en connaît assez pour savoir qu'il ne connaît rien de sa destinée, et qu'il n'en connaîtra jamais suffisamment pour savoir s'il y aura autre chose à connaître."
  • "Au delà de la vision étroite des perturbations "psychosomatiques" auxquelles on se référait alors, il ouvre la voie de la neuro-psycho-immunologie, une des approches les plus prometteuse du comportement humain en relation avec les mécanismes moléculaires et cellulaires. L'inhibition de l'action peut être le facteur déclenchant de désordres neuro-psycho-immulogiques. La preuve est faite aujourd'hui des interrelations entre macrophages, hormones peptidiques et régulateurs du fonctionnement cérébral. Les trois réseaux qui assurent l'homéostasie du corps (système nerveux, immunitaire et hormonal) convergent et s'interpénètrent. Henri Laborit, homme total et libre dans l'univers fragmenté des disciplines, restera en cette fin du 20ème siècle comme un pionnier de la pensée complexe et l'inspirateur d'un nouveau sens de la vie" Joël de Rosnay (Directeur de la Prospective et de l'Evaluation Cité des Sciences et de l'Industrie – Paris )
  • "(…) pour faire une infection ou une affection néoplasique [cancer], il ne suffit pas d'un contact avec un microbe ou un virus ou un irritant local chroniquement subi. On a trop focalisé sur le microbe, le virus ou le toxique cancérogène et pas assez sur le sujet, sur son histoire passée et présente, ses rapports avec son environnement. Les toxiques eux-mêmes doivent sans doute présenter une toxicité variable suivant le contexte et le statut social de l'individu qu'ils atteignent. (...) Contentons-nous maintenant de rappeler que les schizophrènes parvenus au stade de la démence, isolés du contexte social par leur folie, sont parmi les populations les moins atteintes par les affections cancéreuses, infectieuses et psychosomatiques (...)".
  • "(...).il n'y a pas que les maladies psychiques et psychosomatiques qui soient du ressort des comportements individuels en situation sociale (…) , sans doute toute la pathologie en dépend." (...)
  • "Nous sommes les autres, c'est-à-dire que nous sommes devenus avec le temps ce que les autres - nos parents, les membres de notre famille, nos éducateurs - ont fait de nous, consciemment ou non. Nous sommes donc toujours influencés, le plus souvent à notre insu, par les divers systèmes dont nous faisons partie." (...)
  • "La pathologie réactionnelle aiguë à une lésion, elle-même brutale et soudaine, dépend aussi de ce qu'il est convenu d'appeler le "terrain" et qui nous paraît être l'état de la dynamique métabolique tissulaire au moment où elle s'installe. Cette dynamique elle-même dépend de toute l'histoire antérieure du sujet, c'est-à-dire de ses rapports historiques avec ses environnements.".(…)
  • "Quand, il y a peu d'années encore, un médecin observait chez un malade une raideur des muscles de la nuque, une céphalée avec obnubilation, coma parfois, hyperthermie, pouls ralenti, vomissements, il faisait le diagnostic de syndrome méningé. Notons qu'il avait fallu des millénaires pour réunir ces signes disparates en faisceau et montrer qu'ils exprimaient un état d'irritation des méninges. Mais en se limitant aux symptômes par ignorance des processus sous-jacents, la thérapeutique se limitait généralement à prescrire de la glace sur la tête et de l'aspirine. La plupart des malades mouraient."(…)}}
  • "La séparation entre l'esprit et le corps est sans doute un des concepts les plus difficiles à détruire, car fondé sur une apparente évidence. C'est lui qui distingue encore les écoles philosophiques, les sciences humaines des sciences physiques, et par exemple les psychiatries pavlovienne et freudienne, c'est-à-dire les méthodes cherchant à s'appuyer sur des mesures objectives de faits observés de celles basées sur une approche entièrement subjective et introspective des comportements humains. C'est la barrière qui persiste entre la pathologie cortico-viscérale et la pathologie psychosomatique." Henri LABORIT « Inhibition de l'action » (Editions Masson Paris & Presses Universitaires de Montréal, 1980)


  • A l'issue d'une conférence que donnait Laborit en 1966, un psychiatre se leva pour déclarer, non sans emphase, qu'il le voyait comme un " hardi explorateur qui, tel un Viking, s'élance sans peur sur les eaux profondes et dangereuses de la pensée scientifique à la découverte de nouveaux rivages". Laborit étudie systématiquement toutes les grandes familles de molécules agissant au niveau du système nerveux central. Il déplore les effets abrutissants de tranquillisants tels l'équanil et les benzodiazépines qui ne remédient en rien aux causes de l'anxiété. [1].

"Comment espérer qu'un jour l'Homme que nous portons tous en nous puisse se dégager de l'animal que nous portons également si jamais on ne lui dit comment fonctionne cette admirable mécanique que représente son système nerveux? Comment espérer voir disparaître l'agressivité destructrice, la haine, la violence et la guerre? N'est-il pas indispensable de lui montrer combien aux yeux de la science peuvent paraître mesquins et ridicules les sentiments qu'on lui a appris à considérer souvent comme les plus nobles sans lui dire que c'est seulement parce qu'ils sont les plus utiles à la conservation des groupes et des classes sociales, alors que l'imagination créatrice, propriété fondamentale et caractéristique de son cerveau, n'est le plus souvent, c'est le moins qu'on puisse dire, absolument pas exigée pour faire un honnête homme et un bon citoyen." - Henri Laborit (1914-1995), L'agressivité détournée, p. 8