Henri Laborit

 

Un article de Livingstone.

Essences de la pensée de Henri Laborit

Comment espérer qu'un jour l'Homme que nous portons tous en nous puisse se dégager de l'animal que nous portons également si jamais on ne lui dit comment fonctionne cette admirable mécanique que représente son système nerveux?

Comment espérer voir disparaître l'agressivité destructrice, la haine, la violence et la guerre?

N'est-il pas indispensable de lui montrer combien aux yeux de la science peuvent paraître mesquins et ridicules les sentiments qu'on lui a appris à considérer souvent comme les plus nobles sans lui dire que c'est seulement parce qu'ils sont les plus utiles à la conservation des groupes et des classes sociales, alors que l'imagination créatrice, propriété fondamentale et caractéristique de son cerveau, n'est le plus souvent, c'est le moins qu'on puisse dire, absolument pas exigée pour faire un honnête homme et un bon citoyen.

Henri Laborit (1914-1995), L'agressivité détournée, p. 8

Sommaire

Extraits de l'introduction de L’agressivité détournée,
Introduction à une biologie du comportement social

L’homme a d’abord découvert la physique. Les lois structurales, la théorie de l’information, la cybernétique étaient nécessaires pour guider ses premiers pas en biologie. C’est pourquoi celle-ci n’a commencé sa croissance réelle qu’au cours des cinquante dernières années [Seconde moitié du 20e siècle]. Quant à la biologie du système nerveux, elle est née au cours des vingt dernière [Fin du 20e siècle]. Or, comment sans elle pouvait-on comprendre l’évolution des comportements dans l’échelle des espèces et le comportement humain camouflé sous le déguisement du langage logico-mathématique ? Les vagues profondes de l’ère secondaire et tertiaire déferlent encore sur l’activité inconsciente du système nerveux de l’Homme moderne. Matrice biologique engrammée par « les autres », le système nerveux isolé de son contexte social ne donnera jamais qu’un enfant sauvage. Les notions de conscience, de justice sociale, d’agressivité, de vieillissement et de mort sont envisagées dans ce livre à la lumière de la neuro-physio-biologie moderne et de l’urbanisation progressive.

Je voudrais, explique Henri Laborit dans la préface, que ce livre puisse se lire comme un roman. Quel plus beau roman d’ailleurs que celui écrit par la biologie des comportements depuis quelques décennies ? certains « vrais savants » pourront me reprocher cet essai de vulgarisation de notions scientifiques complexes. Mais vulgariser ne veut pas dire déformer. J’espère être parvenu à simplifier, sans trahir, à schématiser sans tromper. Et je pense qu’il s’agit là d’un travail indispensable. Comment espérer qu’un jour l’Homme que nous portons tous en nous puisse se dégager de l’animal que nous portons également si jamais on ne lui dit comment fonctionne cette admirable mécanique que représente le système nerveux ? Comment espérer voir disparaître l’agressivité destructrice, la haine, la violence et la guerre ? N’est-il pas indispensable de lui montrer combien aux yeux de la science peuvent paraître mesquins et ridicules les sentiments qu’on lui a appris à considérer souvent comme les plus nobles sans lui dire que c’est seulement parce qu’ils sont les plus utiles à la conservation des groupes et des classes sociales, alors que l’imagination créatrice, propriété fondamentale et caractéristique du cerveau, n’est le plus souvent, c’est le moins qu’on puisse dire, absolument plus exigée pour faire un honnête homme et un bon citoyen ?…

Extraits de l'introduction de La Nouvelle Grille

Laborit analysa les mécanismes d'établissement des pouvoirs et des dominances, de la notion de territoire et de propriété, le mythe de la démocratie, de l'égalité et de la liberté, mots qui n'expriment qu'une affectivité pulsionnelle satisfaite, gratifiée ou au contraire aliénée, dépendante, soumise à la dominance de l'autre.

Il osa étudier les structures, les lois générales permettant d'organiser les faits en dehors des jugements de valeurs, des automatismes, socioculturels, des préjuges, des morales, des éthiques, qui ne sont jamais que celles des plus forts capables de les imposer par la police, la guerre, les lois, l'abrutissement par l'hypnose évangélique des médias de masse, l'aliénation consommatrice économique, l'obscurantisme affectif, l'aveuglement de la logique langagière et la gratification hiérarchique professionnelle.

Laborit postule qu'être homme consiste avant tout à utiliser les aires cérébrales qui nous distinguent des autres espèces animales et nous permettent de créer de nouvelles structures. Pour lui, être révolutionnaire, ce n'est pas appliquer des grilles inventées à une époque où les deux tiers de nos connaissances scientifiques contemporaines restaient encore à découvrir, une époque en particulier qui restait confinée dans le langage conscient, dans les analyses logiques utilisant le principe de causalité linéaire sans mettre en cause les pulsions, et les automatismes qui menaient et qui mènent encore nos discours. être révolutionnaire consiste d'abord à imaginer de nouvelles grilles conceptuelles, de nouvelles structures prenant en charge l'essentiel de l'apport de l'ensemble des disciplines biologiques, et cela pas en pièces détachées, en bric-à-brac culturel, mais sous une forme intégrée, qui partant de la Physique aboutit à l'espèce humaine dans la biosphère, dans le temps de l'évolution et celui de l'individu, dans l'espace gratifiant d'un homme et celui de tous les Hommes, notre planète.

Être révolutionnaire n'est plus alors l'affaire de quelques leaders inspirés, d'une élite éclairant la masse, mais celle de tous. C'est sans doute la finalité de l'espèce humaine, car il s'agit d'une révolution permanente et culturelle, non d'une culture langagière ou d'une praxis sociale uniquement.

Les mots, les expressions sont dangereuses du fait que très vite on oublie l'objet ou le concept qu'ils sont censés représenter et qu'à travers eux, on se contente d'atteindre l'affectivité insatisfaite et d'exploiter la frustration qui résulte de l'impossibilité grandissante qu'il y a à réaliser des actes gratifiant. La pensée politique paraît de plus en plus encombrée par un tel langage.

Conscience, connaissance, imagination, sont les seules caractéristiques de l'espèce humaine. Ce sont celles aussi le plus exceptionnellement employées. Mais hélas, l'homme entretient de lui une fausse idée qui sous la pelure avantageuse de beaux sentiments et de grandes idées, maintiennent férocement les dominances. La seule façon d'arracher ces défroques mensongères est d'en démonter les mécanismes et d'en généraliser la connaissance.

Florilège de pensées de Laborit

Quels que soient la complexité et le niveau d’organisation auxquels ils se situent, quatre-vingt-dix-neuf pour cent de nos comportements sont faits de ces automatismes acquis tant dans notre vie professionnelle que familiale. Le rôle de la vie sociale est essentiellement de créer de tels automatismes. Un comportement aléatoire, imprévisible, ne permettrait pas à un individu de survivre dans un ensemble social. Exprimer cette notion, c’est donc exprimer aussi celle que la vie sociale a tendance à rechercher l’inconscience généralisée des individus, à favoriser leur comportement réflexe.

Choisir en toute liberté?

En réalité, [l’homme qui aura l’impression d’avoir choisi librement] aura « choisi » la solution qui diminuera ses tensions, qui satisfera ses pulsions, répondra le mieux à ses désirs, son désir de domination avant tout, expression sociale de l’instinct de reproduction, nécessaire à la survie de l’espèce. A un degré de plus, il « choisira » le comportement automatique qu’aura imprimé en lui le groupe social auquel il appartient, il se soumettra aux jugements de valeur imposés par ce groupe et qui n’ont d’autre valeur que celle de protéger ce dernier en tant que structure vivante, mais structure vivante d’un degré d’organisation supérieur à celui de l’individu. Or quand on imagine la multitude infinie des déterminismes qui ont façonné ce qu’il est convenu d’appeler une personnalité humaine, déterminismes définitivement enfouis dans l’activité inconsciente de nos cerveaux préromans, il est difficile de croire que sous le voile de cette inconscience, un seul acte libre, une seule image librement construite, puissent prendre naissance.

La conscience humaine

Savoir que chacune de nos pensées, de nos actions sont commandées par nos motivations inconscientes, n'est-ce pas la seule façon de prendre une certaine distance à leur égard ?

Si nous ne sommes pas responsables de nos actes, nous pouvons faire n'importe quoi, non? Et bien, justement, non : nous ne faisons pas n'importe quoi à moins d'avoir la chance d'être fou : nous agissons toujours selon une raison inconsciente, et selon Laborit, cette raison est la recherche de l'équilibre biologique.

Cette motivation est ensuite maquillée par la raison, qui lui trouvera un alibi.

L'illusion de la liberté repose sur l'ignorance des déterminismes des comportements.

Plus on est conscient et plus on est libre. La conscience nous sort de la prison de nos automatismes. Ce concept est d'ailleurs traité dans les livres d'Henry Laborit. Le bonheur est différent avec la conscience.

Il est plus explicite et superficiel dans la faible conscience mais combien plus intense dans la conscience. Donc la vraie liberté, c'est d'être conscient. Et là, même si on me mettait en prison, je serai toujours libre d'explorer mon intérieur.

Quel que soit le milieu social qui voit naître l'enfant et qui entoure les premières années de son existence, ce qui va organiser cet apprentissage de la vie sociale, ce sont essentiellement les pulsions fondamentales et spécifiques, celles qui résultent de l'organisation de sa matrice biologique, de son système nerveux le plus primitif, de tous ses centres sous-corticaux...

Si l'individu peut parfois avoir conscience de son aliénation au monde de ses semblables, s'il peut souvent souffrir d'un manque de liberté du fait de l'existence des autres, il n'a pas conscience par contre du fait que ce prétendu manque de liberté vient en réalité de sa soumission, de même que de la soumission des autres, aux mécanismes affectifs, c'est-à-dire au fonctionnement de la partie la plus inconsciente du système nerveux.

Ce qu'on nomme liberté, c'est en fait la possibilité de se soumettre au déterminisme inconscient de son cerveau préhumain. Cette possibilité se heurte au déterminisme inconscient du cerveau préhumain des autres, cherchant eux aussi ce qu'ils croient être leur liberté.

Voilà donc la Personne, cette matrice engrammée par le bruit des autres, bousculée entre un déterminisme social et le déterminisme biologique. Elle nomme aliénation le déterminisme social parce qu'il s'oppose à l'autre, le déterminisme biologique inconscient, celui de sa vie affective.

Mais cette matrice biologique, inconsciente de ses pulsions qui ne s'expriment pas dans un langage logico-mathématique et ne se révèlent à elle que sous la forme vaso-motrice et neuro-végétative des émotions, elle souffre de ses aliénations sociales, sans éprouver celles dont elle est victime dans sa structure même. En nous rien n'est à nous, rien n'est de nous. Tout est aux autres, tout est les autres.

Nous sommes les autres

Nous sommes les autres, c'est-à-dire que nous sommes devenus avec le temps ce que les autres - nos parents, les membres de notre famille, nos éducateurs - ont fait de nous, consciemment ou non. Nous sommes donc toujours influencés, le plus souvent à notre insu, par les divers systèmes dont nous faisons partie.

Enseigner

Enseigner sans imposer, donner le goût de jouer à la vie, c’est-à-dire à comprendre puis à découvrir le monde, est sans doute le seul moyen de faire disparaître l’injustice sociale. Montrer les faits sans les déformer, sans leur adjoindre un jugement de valeur, les faits nus, non revêtus par l’épais manteau moralisateur, ne pas surtout présenter la solution temporaire adoptée par une société comme si cette solution était elle-même un fait, un fait indiscutable, alors qu’elle n’est que le camouflage du problème qui pourrait être résolu plus efficacement de façon différente.

De l'usage de l'Utopie

L'Homme n'est capable de réaliser que des modèles utopiques.

Ces modèles sont irréalisables tels qu'il les a imaginés et il s'en aperçoit aussitôt qu'il tente de les réaliser.

L'erreur de jugement et l'erreur opérationnelle consistent alors à s'entêter dans la réalisation de l'irréalisable, et de refuser l'introduction dans l'équation des éléments nouveaux que la théorie n'avait pas prévus et que l'échec a fait apparaître ou que l'évolution des sciences, et plus simplement encore des connaissances humaines, permet d'utiliser, entre le moment où le modèle a été imaginé et celui où la réalisation démontre son inadéquation au modèle.

Ce n'est pas l'Utopie qui est dangereuse, car elle est indispensable à l'évolution.

C'est le dogmatisme, que certains utilisent pour maintenir leur pouvoir, leurs prérogatives et leur dominance.

La morale de Don Quichotte

Don Quichotte avait raison.

Sa position est la seule défendable.

Toute autorité imposée par la force est à combattre.

Mais la force, la violence, ne sont pas toujours du côté où l'on croit les voir.

La violence institutionnalisée, celle qui prétend s'appuyer sur la volonté du plus grand nombre, plus grand nombre devenu gâteux non sous l'action de la marijuana, mais sous l'intoxication des mass media et des automatismes culturels traînant leur sabre sur le sol poussiéreux de l'Histoire, la violence des justes et des bien-pensants, ceux-là même qui envoyèrent le Christ en croix, toujours solidement accrochés à leur temple, leurs décorations et leurs marchandises, la violence qui s'ignore ou se croit justifiée, est fondamentalement contraire à l'évolution de l'espèce.

Il faut la combattre et lui pardonner car elle ne sait pas ce qu'elle fait.

Information et possibilité d'action

Il y a moins d'un siècle, beaucoup d'hommes dans des pays européens n'étaient guère sortis de leur village.

Les sources d'information et les possibilités d'action d'un individu demeuraient limitées à l'espace sensoriel dans lequel il passait sa vie.

Il avait ainsi l'impression de pouvoir toujours dominer la situation, ou du moins de pouvoir agir efficacement pour la contrôler.

Aujourd'hui, l'information planétaire pénètre à profusion dans le moindre espace clos et l'homme qui s'y trouve enfermé n'a pas la possibilité d'agir en retour efficacement.

Il en résulte une angoisse qu'aucun acte gratifiant ou sécurisant ne peut appaiser.

Seul l'engagement politique donne l'espoir d'y remédier par l'action de masse qu'il rend possible.


Le plus souvent nos moyens d'action directe individuels restent limités à un espace restreint.(...) Les mass média diffusent une information qui ne peut être objective à des masses humaines passives, qui n'ont aucun moyen d'utiliser un retour actif à la source qui l'a diffusé, et celle-ci ne peut alors elle-même évoluer, s'informer en retour, se transformer.

Noria et société de divertissement

Le travail humain, de plus en plus automatisé, s'apparente à celui de l'âne de la noria.

Ce qui peut lui fournir ses caractéristiques humaines, à savoir de répondre au désir, à la construction imaginaire, à l'anticipation orignale du résultat, n'existe plus.

On aurait pu espérer que, libérés de la famine et de la pénurie, les peuples industrialisés retrouveraient l'angoisse existentielle, non pas celle du lendemain, mais celle résultant de l'interrogation concernant la condition humaine.

On aurait pu espérer que le temps libre, autorisé par l'automation, au lieu d'être utilisé à faire un peu plus de marchandises, ce qui aboutit qu'à mieux cristalliser les dominances, serait abandonné à l'individu pour s'évader de sa spécialisation technique et professionnelle.

En réalité, il est utilisé pour un recyclage au sein de cette technicité en faisant miroiter à ses yeux, par l'intermédiaire de cet accroissement de connaissance techniques et de leur mise à jour, une facilitation de son ascension hiérarchique, une promotion sociale.

Ou bien on lui promet une civilisation de loisirs.

Pour qu'il ne puisse s'intéresser à l'établissement des structures sociales, ce qui pourrait le conduire à en discuter le mécanisme et la validité, donc à remettre en cause l'existence de ces structures, tous ceux qui en bénéficient aujourd'hui s'efforcent de mettre à la disposition du plus grand nombre des divertissements anodins, exprimant eux-mêmes l'idéologie dominante, marchandise conforme et qui rapporte.

De l'utilisation du profit

Utiliser le profit pour maintenir les échelles hiérarchiques de dominance, c'est permettre, grâce à la publicité, une débauche insensée de produits inutiles, c'est l'incitation à dilapider pour leur production le capital-matériel et énergétique de la planète, sans souci du sort de ceux qui ne possèdent pas l'information technique et les multiples moyens du faire-savoir.

C'est aboutir à la création de monstres économiques multinationaux dont la seule règle est leur propre survie économique qui n'est réalisable que par leur dominance planétaire. C'est en définitive faire disparaître tout pouvoir non conforme au désir de puissance purement économique de ces monstres producteurs.

Les trois clefs du bonheur

Être heureux, c'est à la fois être capable de désirer, capable d'éprouver du plaisir à la satisfaction du désir et du bien-être lorsqu'il est satisfait, en attendant le retour du désir pour recommencer.

On ne peut être heureux si l'on ne désire rien.

Le bonheur est ignoré de celui qui désire sans assouvir son désir, sans connaître le plaisir qu'il y a à l'assouvissement, ni le bien-être ressenti lorsqu'il est assouvi.

Des révolutionnaires sans horizon

Il y a bien aussi les révolutionnaires ou soi-disant tels, mais ils sont si peu habitués à faire fonctionner cette partie du cerveau que l'on dit propre à l'Homme, qu'ils se contentent généralement, soit de défendre des options inverses de celles imposées par les dominants, soit de tenter d'appliquer aujourd'hui ce que les créateurs du siècle dernier ont imaginé pour leur époque.

Tout ce qui n'entre pas dans leurs schémas préfabriqués n'est pour eux qu'utopie, démobilisation des masses, idéalisme petit-bourgeois.

Il faut cependant reconnaître que les idéologies à facettes qu'ils défendent furent toujours proposées par de petits-bourgeois, ayant le temps de penser et de faire appel à l'imaginaire.

Mais aucune de ces idéologies ne remet en cause les systèmes hiérarchiques, la production, la promotion sociale, les dominances.


De l'illusion du libre-choix

La sensation fallacieuse de liberté s'explique du fait que ce qui conditionne notre action est généralement du domaine de l'inconscient, et que par contre le discours logique est, lui, du domaine du conscient.

C'est ce discours qui nous permet de croire au libre choix.

Mais comment un choix pourrait-il être libre alors que nous somme inconscients des motifs de notre choix, et comment pourrions-nous croire à l'existence de l'inconscient puisque celui-ci est par définition inconscient? (...) Les sociétés libérales ont réussi à convaincre l'individu que la liberté se trouvait dans l'obéissance aux règles des hiérarchies du moment et dans l'institutionnalisation des règles qu'il faut observer pour s'élever pour ces hiérarchies.

Les pays socialistes ont réussi à convaincre l'individu que lorsque la propriété privée des moyens de production et d'échanges était supprimée, libéré de l'aliénation de sa force de travail au capital, il devenait libre, alors qu'il reste tout autant emprisonné dans un système hiérarchique de dominance.

Angoisse, ordre et religion

L'impossibilité de réaliser l'acte gratifiant crée l'angoisse, qui peut déboucher parfois sur l'agressivité et la violence.

Celles-ci risquent de détruire l'ordre institué, les systèmes hiérarchiques, pour les remplacer d'ailleurs immédiatement par d'autres.

La crainte de la révolte des malheureux a toujours fait rechercher l'apui des religions, car celles-ci détournent vers l'obtention dans l'au-delà la recherche d'un bonheur que l'on ne peut atteindre sur terre, dans une structure socio-économique conçue pour établir et maintenir les différences entre les individus.

Un cataplasme à la rancoeur

Mais, dans la contestation de classe qui ne cesse de s'étendre, l'intérêt de la bourgeoisie étant de conserver avant tout ses prérogatives hiérarchiques de dominance et celles-ci n'étant plus exclusivement établies sur la naissance et le comportement, mais sur la propriété des marchandises, elle accepte bien volontiers de diffuser une culture, surtout si elle se vend.

Elle compte par-là apaiser la rancoeur due aux différences, tout en conservant les différences qui lui paraissent essentielles, le pouvoir, la dominance hiérarchiques. D'où l'effort qu'elle fait et auquel se laissent prendre les masses laborieuses, pour valoriser la culture, sa culture, tout en la séparant obstinément de l'activité professionnelle productrice, où son système hiérarchique demeure intransigeant.

De la recherche du plaisir aux tranquilisants

La recherche du plaisir ne devient le plus souvent qu'un sous-produit de la culture, une observance récompensée du réglement de manoeuvre social, toute déviation devenant punissable et source de déplaisir.

Ajoutons que les conflits entre les pulsions les plus banales, qui se heurtent aux interdits sociaux, ne pouvant effleurer la conscience sans y provoquer une inhibition comportementale difficilement supportable, ce qu'il est convenu d'appeler le refoulement séquestre dans le domaine de l'inconscient ou du rêve l'imagerie gratifiante ou douloureuse.

Mais la caresse sociale, flatteuse pour le toutou bien sage qui s'est élevé dans les cadres, n'est généralement pas suffisante, même avec l'appui des tranquilisants, pour faire disparaître le conflit.

Celui-ci continue sa sape en profondeur et se venge en enfonçant dans la chair soumise le fer brûlant des maladies psychosomatiques.

Ordre et désordre

L'ordre ne peut naître que du désordre, puisque seul le désordre permet des associations nouvelles.

Cependant, il faut qu'à l'ensemble culturel primitif s'ajoute entre-temps de nouveaux éléments qui permettront d'augmenter la complexité du nouvel ensemble formé, sans quoi on risque de retomber sur une structure plus coercitive encore que celle que l'on a voulu détruire.

Et l'apport informationnel incombe à l'imagination.

Un être de désir

L'Homme est un être de désir.

Le travail ne peut qu'assouvir des besoins.

Rares sont les privilégiés qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant au premier.

Ceux-là ne travaillent jamais.

L'anarchie

S'il est difficile de concevoir dans les rapports humains l'anarchie des comportements instinctifs, par contre l'anarchie des schémas conceptuels est certainement plus apte que le formalisme à déboucher sur des solutions neuves.

Il restera encore à les expérimenter pour choisir le plus efficace, ce qui est souvent possible dans les sciences fondamentales, beaucoup plus difficilement réalisable dans les sciences dites humaines.

L'anarchie conceptuelle pourrait ainsi s'appeler imagination. Elle s'exprime par la multiplicité des modèles.

Comprise ainsi, l'anarchie ne serait absolument pas caractérisée par le chaos, mais bien plutôt par la diversité et la richesse des structures imaginaires. C'est le brain storming des Anglo-Saxons. À nous ensuite de découvrir la structure qui les réunit, les dynamise et les englobe en un niveau supérieur d'organisation.

la destinée humaine

L'Homme est enfin, on peut le supposer, le seul animal qui sache qu'il doit mourir. Ses luttes journalières compétitives, sa recherche du bien-être à travers l'ascension hiérarchique, son travail machinal accablant, lui laissent peu de temps pour penser à la mort, à sa mort. C'est dommage, car l'angoisse qui en résulte est sans doute la motivation la plus puissante à la créativité. Celle-ci n'est-elle pas en effet une recherche de la compréhension, du pourquoi et du comment du monde, et chaque découverte ne nous permet-elle pas d'arracher un lambeau au linceul de la mort ? N'est-ce pas ainsi que l'on peut comprendre qu'en son absence celui qui "gagne" sa vie la perd ?

Beaucoup d'entre nous mourront ainsi sans jamais être nés à leur humanité, ayant confiné leurs systèmes associatifs à l'innovation marchande, en couvrant de mots la nudité simpliste de leur inconscient dominateur.

Le tragique de la destinée humaine ne vient-il pas de ce que l'homme comprend qu'il en connaît assez pour savoir qu'il ne connaît rien de sa destinée, et qu'il n'en connaîtra jamais suffisamment pour savoir s'il y aura autre chose à connaître.

Bio Vs Psycho

La séparation entre l'esprit et le corps est sans doute un des concepts les plus difficiles à détruire, car fondé sur une apparente évidence. C'est lui qui distingue encore les écoles philosophiques, les sciences humaines des sciences physiques, et par exemple les psychiatries pavlovienne et freudienne, c'est-à-dire les méthodes cherchant à s'appuyer sur des mesures objectives de faits observés de celles basées sur une approche entièrement subjective et introspective des comportements humains. C'est la barrière qui persiste entre la pathologie cortico-viscérale et la pathologie psychosomatique.

Les trois choix

Confronté à une épreuve, l'homme ne dispose que de trois choix : 1) combattre ; 2) ne rien faire ; 3) fuir.

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