Amour (Henri Laborit)

 

Un article de Livingstone.

L'amour, extraits de Henri LABORIT de Éloge de la fuite

Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7

« Avec ce mot on explique tout, on pardonne tout, on valide tout, parce que l’on ne cherche jamais à savoir ce qu’il contient. C’est le mot de passe qui permet d’ouvrir les coeurs, les sexes, les sacristies et les communautés humaines.

Il couvre d’un voile prétendument désintéressé, voire transcendant, la recherche de la dominance et le prétendu instinct de propriété. C’est un mot qui ment à longueur de journée et ce mensonge est accepté, la larme à l’oeil, sans discussion, par tous les hommes. Il fournit une tunique honorable à l’assassin, à la mère de famille, au prêtre, aux militaires, aux bourreaux, aux inquisiteurs, aux hommes politiques. Celui qui oserait le mettre à nu, le dépouiller jusqu’à son slip des préjugés qui le recouvrent, n’est pas considéré comme lucide, mais comme cynique. Il donne bonne conscience, sans gros efforts, ni gros risques, à tout l’inconscient biologique. Il déculpabilise, car pour que les groupes sociaux survivent, c’est-à-dire maintiennent leurs structures hiérarchiques, les règles de la dominance, il faut que les motivations profondes de tous les actes humains soient ignorés. Leur connaissance, leur mise à nu, conduirait à la révolte des dominés, à la contestation des structures hiérarchiques. Le mot d’amour se trouve là pour motiver la soumission, pour transfigurer le principe du plaisir, l’assouvissement de la dominance. »

« Il y a des milliers d’années que périodiquement on nous parle de l’amour qui doit sauver le monde. C’est un mot qui se trouve en contradiction avec l’activité des systèmes nerveux en situation sociale. Il n’est prononcé d’ailleurs que par des dominants culpabilisés par leur bien-être et qui devinent la haine des dominés, ou par des dominés qui se sont brisé les os contre la froide indifférence des dominances. Il n’existe pas d’aire cérébrale de l’amour. C’est regrettable. Il n’existe qu’un faisceau du plaisir, un faisceau de la réaction agressive ou de fuite devant la punition et la douleur et un système inhibiteur de l’action motrice quand celle-ci s’est montrée inefficace. Et l’inhibition globale de tous ces mécanismes aboutit non à l’amour mais à l’indifférence. »

« Comment espérer qu’un jour l’Homme que nous portons tous en nous puisse se dégager de l’animal que nous portons également si jamais on ne lui dit comment fonctionne cette admirable mécanique que représente son système nerveux ? Comment espérer voir disparaître l’agressivité destructrice, la haine, la violence et la guerre ? N’est-il pas indispensable de lui montrer combien aux yeux de la science peuvent paraître mesquins et ridicules les sentiments qu’on lui a appris à considérer souvent comme les plus nobles sans lui dire que c’est seulement parce qu’ils sont les plus utiles à la conservation des groupes et des classes sociales, alors que l’imagination créatrice, propriété fondamentale et caractéristique de son cerveau, n’est le plus souvent, c’est le moins qu’on puisse dire, absolument pas exigée pour faire un honnête homme et un bon citoyen. »


« L’homme est une corde tendue entre l’animal et le Surhomme, une corde au-dessus d’un abîme. »
-- Friedrich Nietzsche
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