Extrait: La Juge Noire

 

Un article de Livingstone.

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Le groupe retourna donc vers le passage « secret » d’Adèle-en-Or, et constata que le ménage venait d’être fait pendant leur promenade d’exploration. Victor-Hugo s’en était rendu compte, car il avait volontairement déplacé des blocs de pierre en dessinant un cercle sur le sol. Or ce cercle n’était pas défait accidentellement, comme quelqu’un qui aurait pu trébucher par exemple dans les pierres qui se trouvaient au milieu du chemin. Non, les pierres avaient été déplacées consciencieusement pour reconstituer des tas évoquant des éboulis comme elles étaient initialement disposées.

L’astucieux Victor-Hugo avait aussi mis des fils dans le passage qui pouvait le renseigner d’où venaient ces « nettoyeurs ». Il n’y avait qu’un seul endroit, et celui-ci venait, non de l’Antre de la Goule, mais de l’intérieur de la demeure d’Adèle-en-Or.

Il n’était donc pas possible de discuter avec les Nones pour en savoir plus sur l’introduction de matériel hautement spécialisé dans les sous-sols de Poitiers et encore moins sur l’apparition ou disparition de deux individus qui s’étaient mêlé discrètement à la population.

Les quatre enquêteurs revinrent frustrés au QG où étaient restées les deux juges.

— Ce n’est pas grave, répondit Nouriya au résumé de Victor-Hugo. Vous semblez tout simplement confirmer qu’il y a une relation étroite entre la demeure des Nones et celle des de Lagardère. Je vais donc essayer de trouver des traces d’installations dans les mémoires. Par contre vous, avec votre équipe, vous pourrez fouiller cet endroit-ci, indiqua-t-elle sur le plan. C’est là que le matériel est stocké. Et là, juste à côté, il y a l’équivalent d’un centre informatique.

— Et n’oubliez pas, maugréa Rébecca qui semblait soudain se réveiller, nous cherchons Bill the Kit et non des gadgets !

Tetsu eut le temps avant de repartir dans le labyrinthe d’apercevoir le regard triste de Rébecca, la juge « humaine » à peau de métal, se perdre dans ceux de la juge Synthétique à peau humaine.

À peine à l’écart, il demanda aux autres si sa présence était indispensable.

— Non, vos compétences d’architecte nous ont grandement aidés, répondit Paule. Vous voulez retourner voir Rébecca ? Elle n’a pas l’air en forme.

— Oui, j’ai l’impression que le fait d’avoir revu Nouriya a bouleversé quelque chose et peut-être fait remonter des souvenirs pénibles.

Tous se turent, car tous avaient connu de près ou de loin l’épisode tragique de la transformation de la juge en cyborg.

— Il n’y a pas que ça, reprit Tetsu. Je pense que sa foi en la justice s’est ébranlée. Jusqu’à présent, elle était sûre de son jugement. Mais ces derniers temps, elles affrontent d’autres manières de voir. Cela n’est pas en soi anormal. Le problème vient d’ailleurs...

— La perte de certitude, continua Taro. C’est terrible, même quand on n’est pas juge. Quand le doute s’installe...

— Retourne là-bas, Tetsu ! ordonna gentiment Paule. Nous, nous sommes des habitués de ces lieux. Victor-Hugo et moi sommes comme chez nous ici.

— Et moi, je préfère l’action à l’inactivité. J’aime bien Hôdo, mais de temps en temps, fit Taro en ébauchant un sourire discret, un peu de variété et d’inattendu... Vas-y, Tetsu ! À chacun sa mission !

De retour dans la salle de réunion, le cyborg constata qu’aucune des deux femmes n’avait bougé, mais la Synth parlait doucement :

— J’aime mieux une justice réparatrice basée sur une morale dynamique et pragmatique qu’une justice rigide et vengeresse basée sur une morale toujours obsolète et encombrée de rustines.

— Tu as une drôle de définition de la justice ! Il est vrai que tu es Synth et que tu ne peux nous comprendre, nous les humains de chair organique.

— Je ne peux partager des émotions que je ne peux avoir. Mais j’ai trop vécu au milieu de vous pour ne pas voir combien vos frustrations se transforment en machines aveugles de destruction. Vous ne voyez plus rien et vous agissez soit par instincts, soit par réflexes inculqués, soit à coup de lois qui requièrent autant d’obéissante, mais rassurante soumission.

— C’est vous, être sans colère, qui nous faites la morale.

— Vous qui adorez les Lois, c’est une conséquence des lois de Hôdo, des lois faites par des êtres de chairs comme vous. Ceux qui ont créé ces lois savaient qu’il était impossible de concilier toutes les vérités des clans et des individus qui coloniseraient leur planète. Il y aurait toujours eu des frustrés, sauf si chacun était coresponsable vis-à-vis des autres de la santé de la planète. Afin d’arriver à cela, les pionniers de Hôdo ont utilisé à bon escient l’une des compétences de notre cerveau : la catégorisation. Pour agrandir un ensemble, il faut diminuer le nombre de lois qui gèrent les ensembles. Et à partir de là, nous pouvons commencer par utiliser l’autre grande caractéristique de notre cerveau : voir les spécificités qui peuvent créer des associations. L’adaptation, la recherche de solution, l’imagination, la créativité sont notre force. Qu’y a-t-il à rechercher quand tout est décrit par des lois inébranlables ? Rien ! En nous posant comme juge appliquant seulement des grilles de lois figées, nous nous plaçons au-dessus des savants qui cherchent la vérité sans jamais la trouver et nous fermons les portes de l’incertitude, de la remise en question, de la quête de solutions toujours meilleures et plus adaptées à chaque réalité. L’ombre vous fait peur, certes, mais peut-être que notre seule fonction dans cet univers est précisément de la faire reculer. Cela ne se fait pas dans l’immobilisme.

— J’en ai assez de votre moral de Synth. Vous ne comprenez rien à notre nature.

— Rien ? fit Nouriya en balayant l’espace qui l’entourait. Je partage la vie des gens de l’Ombre. Qu’a mérité ce peuple pour ne plus avoir droit à une place sous le soleil ? Regardez, Juge ! Ce sont des gens normaux.

» La majorité d’entre eux n’ont pas rejeté le Système, c’est le système qui les a rejetés, ce sont vos lois qui les ont créés comme on rejette des scories, sauf qu’ici ils ne forment pas des terrils qui s’élancent vers le ciel, mais des dédales qui s’enfoncent dans les sous-sols.

» La moindre erreur de trajectoire, le moindre aveuglement de la part de ceux qui participent à la domination de monde, je ne parle pas de Dominants, vous condamne non pas au bannissement, mais à la chute dans l’oubli. Un banni ou un marginal peut encore se vanter de l’être, pas un oublié qui n’existe plus. Voilà ce que sont les Nones, des Anonymes comme ils se définissent eux-mêmes par dérision. Ceux-là constituent la majorité de l’Ombre où se côtoient pacifiquement, mutants, cyborgs et tous les « anti-systèmes ».

» C’est mon univers, je suis leur juge et je les aide à vivre ensemble et à relever la tête sans tomber dans la haine alimentée par une vengeance à jamais assouvie. Car à chaque victoire de la revanche, le visage du frustré est remplacé par un autre et le flambeau de la révolte change de main.

» Je suis désolée, mais je leur apporte plus que toi dans ton combat contre les 8G. Ceci dit, je ne prétends pas avoir plus raison que toi, mais c’est la voie que je considère être la meilleure de mon point de vue.

» Quoiqu’il en soit, je continuerai à être ici, sur Terra, ton ange gardien, et comme telle, je t’aiderai toujours quand tu viendras. Tu peux retourner sur le Persée si tu sens que ta place est là. Moi, je reste ici.

Tetsu en profita pour s’introduire franchement dans la salle de réunion.

— Qu’entends-je, Rébecca, nous retournons sur le Persée ?

La juge cyborg fut surprise par l’irruption de son partenaire. Elle n’eut pas le temps de préparer une réponse acariâtre à l’encontre de Nouriya et de Tetsu. Finalement, elle saisit l’opportunité de fuir cet endroit qui lui devenait insupportable, sans même attendre le trio qui était parti fouiner sous Poitiers. Elle les salua simplement à partir de son allinone. Tetsu fit un clin d’œil à Nouriya en lui chuchotant : « on la retrouvera, notre Rébecca ! »

— Je reste dans l’Antre de la Goule, répondit Nouriya. Cet endroit me convient bien avec son cerveau électronique et ses énormes archives sur la justice des Organos.