Petit guide de sociologie
Un article de Livingstone.
Pour ne pas être un mouton consommateur à consommer, il est incontournable non seulement de se connaître, mais de connaître son environnement.
Voici un petit guide de survie en entreprise, ou du moins une source de réflexions qui s'inscrivent dans l'esprit de ce site.
Petits cours de sociologie recueillis sur des tracts de la CFTC et légèrement adapté au site[1].
L'étude Hawthorne
Il est proposé ici de donner des éléments de réflexions sociologiques sur l'environnement professionnel. Nous retracerons pendant quelques mois des expériences et des théories ou modèles issus essentiellement de la « sociologie des organisations ».
Commençons par une expérience décrite comme « fondatrice » : l'étude de Hawthorne[2]. Elle reste pertinente dans ses analyses[3]. Cette étude se déroula entre 1927 et 1932 dans une usine de la Western Company (fabrication de matériel téléphonique) du nom de Hawthorne près de Chicago. Elle fut menée par des chercheurs de Harvard dans un environnement très marqué par l'OST (Organisation Scientifique du Travail) prôné par Frederick W. Taylor[4]. Bien que les salariés de cette entreprise semblaient relativement bien traités, il y régnait un certain mécontentement. Parmi toutes les expériences qui furent effectuées, l'une consista à améliorer l'éclairage dans l'objectif d'augmenter la productivité des ateliers (approche « physiologique ») [5]. Il fut donc constitué un groupe « test » et un groupe « témoin ». Le premier bénéficia de l'éclairage amélioré, le second conservant les mêmes conditions de travail. Cela allait permettre de mesurer le gain de productivité du groupe « test » par rapport au groupe « témoin ». La productivité du premier groupe augmenta effectivement grandement. Et… celle du second aussi ! Ce paradoxe intrigua énormément les chercheurs. Il fallut plusieurs années pour qu'ils arrivent à échafauder des théories satisfaisantes. Soit en simplifiant : Il apparut que les sociologues avaient joué un rôle que ne jouait plus le management : ils avaient beaucoup écouté et tenu compte des remarques ou propositions. Les salariés eurent l'opportunité et la motivation pour améliorer eux-mêmes leurs modes de travail.
Les chercheurs mirent également en évidence l'importance des « groupes informels », se superposant à l'organisation formelle et créant des « liens sociaux ». Cet élément, vu comme « contre-pouvoir » par les directions autocrates, est fondamental dans la réalisation des objectifs collectifs, et permet les sentiments d'appartenance, et de reconnaissance. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces notions.
Exercez-vous :
Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez eu, ou assisté, à une conversation professionnelle où chaque acteur était réellement à l'écoute des autres ? Si oui, y avait-il de la « confiance » entre les acteurs ? Quel en fut le résultat concret ?
Percevez-vous des « groupes informels » dans votre environnement professionnel ? Lesquels ? Selon vous quels sont leurs modes d'action, leurs influences, leurs objectifs collectifs, leurs marges de manoeuvre ? Auquel de ces réseaux appartenez-vous ? Quelle y est votre action ?
La rationalité limitée
Les sociologues des organisations posent comme postula que nos stratégies de prises de décisions sont rationnelles, mais de « rationalité limitée ». Cette curieuse notion est due à Herbert Simon, sociologue, mais aussi prix Nobel d'économie en 1978, et un des pères de l'intelligence artificielle[6]. Sans entrer dans la finesse de la réflexion[7] de ce scientifique, prenons un exemple vécu par presque tous. Jeune embauché en région parisienne, vous avez été en recherche d'un logement. Vous avez une assez bonne idée de ce que doit être votre loft (70 m2, vue imprenable sur la tour Eiffel, moins de 500 €/mois…). Une démarche « strictement rationnelle » serait de faire l'inventaire exhaustif de tous les logements à louer en région parisienne avec leur caractérisation, et d'établir une méthodologie de comparaison performante. Ceci afin de pouvoir effectuer une comparaison synoptique de l'ensemble des informations issues de l'environnement considéré. Mais vous travaillez et il y a beaucoup trop de biens à voir. Alors, vous visitez 4 ou 5 appartements et vous vous arrêtez sur celui qui vous satisfait a minima (12 m2, 800 €, en demi-sous-sol dans une rue passante…). Votre stratégie de recherche était pourtant « rationnelle ». Vous aviez une démarche de recherche et établi des critères de comparaison pour atteindre votre objectif. Mais vous avez été « limité » par vos propres moyens pour établir votre décision.
Cet exemple nous amène également à considérer une autre limitation due à l'influence d'agents extérieurs. Il s'agit ici de l'agent immobilier. Il connaît bien mieux que vous le marché et les biens disponibles. Certains sont peut-être exactement ce que vous recherchez. Mais il sait qu'il n'aura aucun mal à les placer… à d'autres que vous. Alors, sachant que vous disposer de peu de temps pour faire votre choix, il vous fait visiter d'abord un bien de très mauvaises qualités et généralement très cher, puis un autre légèrement mieux, etc. Il sait que vous vous déciderez après un nombre très limité de visites. Il « oriente » votre décision en « limitant » sa rationalité, car vous ne verrez qu'un certain type d'échantillons (les biens les plus « mauvais » ou ceux dont la location lui rapporte le plus…). La prochaine fois, dites-lui que vous avez tout votre temps…
Exercez-vous :
Prenez une de vos décisions récentes : quels en ont été les facteurs « rationnels » et surtout « limitant » ?
Repensez à des décisions prises par d'autres et que vous n'avez pas comprises (perçues par vous comme « absurdes » par exemple) : le processus de « rationalité limitée » chez le « décideur » pourrait-il être une explication ?
Définitions du « Pouvoir »
Accomplissement personnel (morale, créativité, résolution des problèmes...) |
Estime (confiance, respect des autres et par les autres, estime personnelle) |
Besoins d'appartenance et affectif (amour, amitié, intimité, famille) |
Besoins de sécurité (du corps, de l'emploi, de la santé, de la propriété...) |
Besoins physiologiques (manger, boire, dormir, respirer...) |
Pyramide des besoins
Tableau recopié de Wikipedia
Les sociologues attribuent un rôle central aux « jeux de pouvoir ». Certains y voient une substitution à la notion psychologique de la « pyramide des besoins » de Maslow[8]. Cependant, cette théorie est centrée sur l'individu alors que la notion de pouvoir est relative aux acteurs, ou groupes d'acteurs, dans les systèmes sociaux. Il n'y a pas ici de pouvoir absolu. Commençons par en donner une première définition générale[9] : « Le pouvoir est la capacité pour certains individus ou groupes d’agir sur d’autres individus ou groupes. » Ce « pouvoir » est généralement déséquilibré ce qui permet à certains de prendre l'ascendant sur les autres. Il répond à une double nécessité :
- imposer sa vision et obtenir les moyens nécessaires à l'atteinte des objectifs qu’elle entraîne,
- réguler, arbitrer les conflits de pouvoir (car les visions et stratégies des acteurs peuvent diverger).
Si le pouvoir exercé est plutôt de nature « autoritaire » (voir « Une première classification du "Pouvoir") », on pourrait affiner la définition par : « Le pouvoir de A sur B est la capacité de A d’obtenir que B fasse quelque chose qu’il n’aurait pas fait sans l’intervention de A ». Ici, il y a peu de place pour la réciprocité. En effet, dans une relation où les pouvoirs des uns et des autres peuvent s'équilibrer et où la voie « autoritaire » n'est pas souhaitable ou souhaitée, il y a alors une « relation de négociation » entre les acteurs. La définition du pouvoir devient donc : « Le pouvoir de A sur B est la capacité de A d’obtenir que, dans sa relation avec B, les termes de l’échange lui soient favorables ». Précisons qu'il ne s'agit pas nécessairement pour l'acteur A « d'utiliser » l'acteur B pour atteindre des objectifs « égocentriques ». Il se doit d'atteindre les objectifs qui lui sont assignés par « l'organisation ».
Une première classification du « Pouvoir »
Pour faire suite aux définitions du « Pouvoir », voici une première classification du « pouvoir ». Dans une perspective Weberienne[10], présentée ici, le pouvoir est associé à une « domination » (d'un chef ou d'un groupe) perçue comme « légitime » par les autres qui s'y soumettent. Cette domination se décline en trois catégories non exclusives les unes des autres.
- La domination « traditionnelle » : elle est basée sur la croyance en des traditions « sacralisées » par ancienneté, habitudes ou héritages. Exemple : le roi dans un système monarchique.
- La domination « charismatique » : elle repose sur le caractère « exceptionnel du leader » pour des vertus exemplaires, héroïques ou sacrées, reconnues par ceux qui se soumettent à son autorité (et non à la règle). Exemples : les hommes d'État qui ont sorti leur pays du chaos ou ceux (dictateurs) qui les y ont plongés.
- La domination « rationnelle-légale » : elle repose sur la croyance collective en une société de droit où le pouvoir est délégué, par un processus rationnel, aux acteurs « compétents » dans l'atteinte de buts qui lui sont fixés. Cet acteur est également soumis à des règles. Il n'y a ni émotion, ni personnalisation de ces règles. Les gouvernés obéissent à ces règles et non à celui qui les incarne. Il s'agit là de la forme de domination la plus courante dans nos sociétés et entreprises.
Bien que Max Weber propose là une classification qui a encore toute sa pertinence, vous réalisez intuitivement que cela reste insuffisant. En effet, obéissez-vous toujours avec zèle à votre chef qui jouit pourtant d'une autorité « rationnelle-légale » sur vous ? Si tel n'est pas le cas, suite au prochain paragraphe…
Exercez-vous :
Rechercher des personnes dans votre vie professionnelle ou personnelle qui cumulent plusieurs types de « dominations » sur leur entourage ?
Maîtriser les « Zones d'incertitudes »
Dans la fin des années cinquante, un jeune chercheur, Michel Crozier[11], cherchait à mieux comprendre les relations des acteurs dans les organisations. Il trouva une « boîte de Pétri sociologique » dans la Seita qui, bien qu'elle soit une organisation industrielle, échappe aux contraintes économiques du marché (car monopole d'État). En outre, dans cette « administration industrielle », tout était formalisé et réglementé pour décrire les processus et éviter les conflits. Tous, sauf ceux réellement imprévisibles comme, par exemple, les pannes des machines… Contrairement au modèle Wébérien (cf. « Une première classification du "Pouvoir") », le « pouvoir » n'est pas nécessairement dans les mains de l'autorité (hiérarchie, etc.). L'acteur (A) agit pour atteindre des objectifs qui lui sont propres dans le cadre de contraintes sociales[12]. Il doit rechercher un « pouvoir » qui lui donne la liberté et les moyens d'atteindre ses objectifs. Pour ce faire, il va rechercher à « maîtriser » quelque chose (une « zone d'incertitude » selon la terminologie de Crozier) que l'autre (B) ne maîtrise pas. Si cette maîtrise est importante pour (B), alors (A) a le « pouvoir » sur (B) au sens de la définition donnée au paragraphe « Définitions du "Pouvoir" ». Concrètement à la Seita, il s'agissait plus particulièrement des agents de maintenance. De leur zèle à réparer les machines dépendait le bon fonctionnement global de l'entreprise. Les autres, y compris leurs supérieurs, engoncés dans un cadre normatif rigide ne pouvaient qu'espérer le bon vouloir de la maintenance ou, à défaut, le négocier. Ainsi, les relations de pouvoir ne sont pas celles suggérées par l'organigramme. Crozier proposera le « sociogramme » où les acteurs (ou groupes) sont reliés par des relations de type « Alliances », « Conflits » et « Paix armée ».
Les ressorts du « pouvoir »
Il a été vu dans le paragraphe précédent que, d'après la théorie de « l'analyse stratégique » de Michel Crozier et Erhard Friedberg[13], le pouvoir d'un acteur sur un autre dépend de la capacité du premier à maîtriser un domaine, ou « zone d'incertitude », que l'autre ne maîtrise pas, mais dont le contrôle lui est pourtant nécessaire. Cette théorie identifie quatre manières, de gagner en pouvoir[14]. Elles ne sont pas exclusives et peuvent toutes être utilisées par un même acteur.
- Pouvoir de « l'expert » : La possession de compétences ou d’expertises fonctionnelles difficilement remplaçables (exemples : spécialités rares ou importantes, capacités à résoudre des problèmes cruciaux…). À noter qu'il faut que l’expert ait une capacité à saisir les répercussions, même indirectes, de son expertise. Il faut également que le groupe adhère aux conclusions de l’expert. Dans notre type de société, c’est généralement la « rationalité scientifique » qui permet cette adhésion. Cependant, le groupe doit y trouver son intérêt, sinon il mettra en échec l’expert. Ce pouvoir est donc assez fragile. Exemple[15] : le « gourou » de l'informatique.
- Pouvoir du « marginal séquent » ou « relais » : la maîtrise des relations avec l’environnement. Il s'agit ici plus particulièrement de la connaissance des réseaux dans plusieurs domaines pour être partie prenante dans plusieurs systèmes et démultiplier ainsi ses capacités d'influence et d’actions. Exemple : le lobbyiste.
- Pouvoir de « l'aiguilleur » : La maîtrise des systèmes de communication. L’information est souvent un élément crucial pour maîtriser une « incertitude ». Il faut savoir l’obtenir auprès de ceux qui la détiennent, puis l'analyser et adapter son action sur les objectifs et résultats des différents acteurs. Exemple : le commercial.
- Pouvoir de la règle : L’utilisation des règles organisationnelles formelles ou informelles. Qui ne s'est jamais énervé contre les rouages complexes d'une administration. Et qui ne fut pas surpris en voyant un autre usager obtenir tout ce qu'il voulait, en un temps record, de cette même administration ? Cet autre connaissait, et savait utiliser, les règles, et modes de fonctionnement administratifs. Ceux qui sont écrits dans la procédure, mais aussi, et surtout, ceux qui ne le sont pas. Exemple : l'assistante.
Maintenant petit Jedi : « Que la force soit avec toi ! »
Actions, rationalité et… danse de la pluie
La tribu indienne hopi en Arizona dansait pour faire tomber la pluie quand cette dernière tardait à venir. C'est stupide, pensez-vous. Pour les sociologues, cela peut revêtir un caractère « rationnel », voire similaire à nos démarches scientifiques[16]. Dans les années 50, le sociologue Américain Robert Merton y voit deux « fonctions latentes » :
- Une façon de neutraliser les angoisses individuelles,
- Un outil pour consolider le groupe face à la crise alimentaire qui se profile.
Dans les années 70, Raymond Bourdon voit là une illustration de son concept de « rationalité cognitive » [17] : on peut agir rationnellement », mais sur la base d'éléments ou théories insuffisants ou erronés. Pour la danse de la pluie, son interprétation devient :
- Comme cette danse s'effectue au moment où il doit pleuvoir, cette pluie finira par arriver. C'est donc bien, dans l'état des connaissances des Hopis de l'époque, que la danse a donné le résultat escompté. Tout calcul statistique sur cette base tendrait à conforter cette croyance.
- Si, malgré un grand nombre de danses, la pluie ne venait pas, comme un bon scientifique qui ne remet pas en cause la théorie quand son expérience a raté, mais regarde d'abord s'il y a un problème dans son protocole, les Hopis considèrent que le rituel a été mal accompli. Ils le corrigeront jusqu'à ce que la pluie vienne à tomber. L'efficacité de la danse sera bien démontrée.
Récemment, Charles-Henry Cuin se demande pourquoi les Hopis ont choisi la danse. Il l'explique par le fait que les conséquences observées leur sont plutôt favorables et leur donnent un « savoir procédural » substituable à leur incompréhension des phénomènes météorologiques. Par ailleurs, ils peuvent donner un « vernis logique » basé sur les « conséquences réelles » et non sur une théorie causale. Ils construisent une « norme sociale » que les individus suivront. Cuin qualifie de « rationalité pragmatique » cette approche. Pour revenir au monde du travail, est-on en train de se conformer à un « savoir procédural » (BMS-CMMI, plans d'économies, etc.) dont nous ne connaissons pas les causalités sur les objectifs recherchés ? Nous y trouverions un « confort », car nous suivons, par « rationalité cognitive/pragmatique », une « croyance », ou « norme », garante de notre intégration sociale ? Bref, est-on en train de danser pour faire tomber la pluie au lieu de chercher de vraies solutions comme creuser un puits pour trouver de l'eau ?
Trois postulats sur l'acteur dans le système
L'analyse stratégique[18], qui étudie les « jeux de pouvoir » dans l'organisation (voir les paragraphes traitant du pouvoir du $3 au $6) fait trois hypothèses sur l'acteur :
- Les individus n’acceptent jamais d’être traités comme des « moyens » au service de buts que les organisateurs leur fixent. En effet, on considère ici que les objectifs sont propres à chaque acteur du système. Il faut donc que l'individu, d'une manière ou d'une autre, « trouve son compte » dans les buts qui lui sont fixés.
- Dans une organisation, tout acteur garde une possibilité de jeu autonome (liberté d'action). Elle provient d'une « zone d'incertitude » exogène (pannes de machines, crise économique…) ou endogène (mauvaise réglementation, comportement d'autres acteurs…). L'utilisation de cette liberté lui permet d'accéder au « pouvoir » (voir « Maîtriser les "Zones d'incertitudes" »).
- Dans les « jeux de pouvoir », les stratégies sont toujours rationnelles, mais d’une rationalité limitée (voir « La rationalité limitée »). Car les acteurs n'ont pas les moyens (temps, connaissances, informations, puissance de calcul…) de trouver la solution la plus rationnelle (optimale) : un décideur prend ses décisions, dans un temps contraint et sur la base des informations dont il dispose. À noter, suivant le principe 1, ses conseillers peuvent choisir de lui fournir seulement les informations « compatibles » avec leurs propres objectifs.
L'Analyse Stratégique en bref
Il a déjà été beaucoup question de « l'Analyse Stratégique »" dans ces lignes. Cette branche de la sociologie des organisations, due principalement à Michel Crozier[13], s'appuie sur les postulas donnés dans « Actions, rationalité et… danse de la pluie », et peut se résumer[19] dans la séquence suivante.
(1) D'abord, les « incertitudes » de l'environnement (voir « Maîtriser les "Zones d'incertitudes" ») : aléas des marchés, pannes de machines, comportements des autres acteurs ou les abimes des décisions bureaucratiques, etc. Ces « incertitudes » sont des contraintes pour certains, mais permettent également à d'autres acteurs de dégager de la liberté d'action. Pour ce faire et suivant les exemples ci-dessus, ils doivent avoir de bonnes informations sur les marchés, l'expertise pour réparer les machines, de bons réseaux chez les autres acteurs ou encore avoir la connaissance des processus formels et informels de l'organisation, etc.
(2) Ces acteurs acquièrent le « pouvoir » sur les autres.
(3) Ce pouvoir va leur permettre d'obtenir (voir « définitions du "pouvoir" ») les moyens nécessaires à l'application de leurs stratégies pour
(4) atteindre leurs objectifs.
Ces objectifs se déclinent en deux sous-ensembles :
- Les objectifs « fonctionnels » fixés par l'organisation à l'acteur : gagner tel marché, faire x% de marge sur le projet, développer tel logiciel, etc.
- Les objectifs propres à l'acteur : gagner les moyens de subsistance pour sa famille, avoir la satisfaction du travail bien fait ou... obtenir le plus gros 4X4 Mercedes de la boite.
Généralement, ces objectifs sont préemptifs sur les objectifs fonctionnels (pour marquer cet aspect, certains sociologues parlent « d'enjeux » pour désigner les objectifs propres aux acteurs). Le processus peut être plus complexe [...]. Certains acteurs pourraient avoir comme stratégie de rendre leurs comportements imprévisibles pour projeter de l'incertitude (1) sur d'autres acteurs, gagner ainsi en pouvoir (2) et avoir la promotion nécessaire (3) pour obtenir... la Mercedes (4). Enfin, l'acteur n'est pas nécessairement un seul individu, mais peut aussi être un groupe d'individus (notamment en Analyse stratégique des grandes organisations). Des antagonismes similaires peuvent alors naître entre les objectifs « fonctionnels » (globaux) et les enjeux « corporatistes ». De tels antagonismes entre les objectifs de l'entreprise et enjeux des acteurs (individus ou groupe) sont généralement perçus comme des comportements « absurdes » alors qu'ils s'expliquent souvent par la modélisation issue de l'Analyse Stratégique.
L'individu en interaction
L'analyse stratégique se place dans une démarche analytique du système social. Cette thèse, dit « interactionniste »[20] , considère l'individu comme « acteur » en interaction dans le système. [...] Ses intentions sont « déterminées » de manière individuelle (psychologique) et collective (culture(s), formation, âge, sexe…) et vont le « motiver » à la recherche d'un gain matériel (argent…) ou immatériel (sécurité, appartenance, estime, accomplissement de soi…). Pour cela, il entre dans une « logique d'acteur » (stratégie) où son intégration à l'organisation va lui offrir des « opportunités » de jeux. Des « rapports de pouvoir » ((décrit dans les définitions du « Pouvoir » aux ressorts du « pouvoir ») s'établissent avec les autres. Son pouvoir peut lui permettre d'imposer des normes de comportements (le hiérarchique sur ses subordonnés) comme il peut être limité par d'autres (autorité du policier par rapport aux droits des citoyens). Enfin, l'individu et l'entreprise baignent dans un « environnement ». Ce dernier comporte de multiples composantes (contraintes économiques, origines socio-éducatives, technologies utilisées, cadre juridique, politique etc.) qui vont façonner et contraindre tant les individus que l'entreprise dans leurs interrelations.
Note : l'approche interactionniste constitue un cadre général à des modèles sur l'organisation. Elle n'a pas de vocation appliquée autre que d'expliciter une thèse où le comportement de l'individu ne peut pas (totalement) être déterminé par lui-même. Ici, un même individu peut avoir des comportements sociaux différents suivant l'environnement, l'entreprise, le service etc. et suivant l'évolution dans le temps.
Approche culturaliste… et McDo
La thèse interactionniste (épisodes précédents) n'est qu'une manière de « lire » les organisations. Une autre est issue de la sociologie « canal historique » et de l'ethnologie ; c'est la thèse culturaliste[21]. Elle se décline en de nombreux raffinements. Une définition anthropologique peut être : « un ensemble de croyances, de connaissances et de pratiques communes à une société, ensemble qui fonde l'unité profonde et l'originalité de cette société. » Plus spécifiquement dans l'entreprise, la « culture permet de fédérer les acteurs individuels sur des projets collectifs ». Le « noyau fondateur » d'un « système culturel »[22] est composé de :
- Valeurs (et Interdits)
- ils fixent vers quoi il est bon (ou pas) de porter l'action. Par exemple, le « credo » d'une entreprise.
- Mythes et Héros
- ils fondent l'essence de la culture et légitiment ses valeurs (et les rapports de pouvoirs). C'est le cas des entreprises qui se présentent à travers une description « mythique » du « héros-fondateur ».
- Rites et Rituels
- ils ont pour but de renforcer et d'ancrer les valeurs pivots de la culture (empêcher qu'elles évoluent au gré des modes) ainsi que de développer le sentiment d'appartenance. En entreprise, il s'agit des réunions de communication, des pots, des cérémonies, etc.
- Symboles
- signes (logos, insignes, architectures…) et codes (vestimentaires, taille des bureaux, récompenses…) qui explicitent la culture, avec des degrés variables d'abstraction.
La culture est un « référentiel de sens » qui définit ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas dans l'organisation. Elle se doit d'induire des objectifs et comportements individuels favorables à la survie et la prospérité de la « tribu ». Une culture d'entreprise « forte » doit en outre permettre des comportements déterministes et axés sur les objectifs de l'entreprise. Un facteur de motivation serait l'identité culturelle ainsi donnée à l'individu en l'élevant au rang de personnage clé dans la destinée collective. L'exemple maintes fois repris dans la littérature est l'entreprise McDonald. On raconte aux nouveaux arrivants (« rites ») l'anecdote (« mythe ») du fondateur (« héros ») qui, entrant dans un de ses nombreux restaurants, ramasse un papier gras pour le mettre à la poubelle. Il crée ainsi un « rituel », basé sur la « valeur » propreté, contre « l'interdit » de la saleté. Par le « symbole » (un clown), il signifie au client qu'ils peuvent venir en famille et seront bien reçus. Et aux salariés, dont la tenue vestimentaire aux couleurs vives s'apparente à celle du « symbole », qu'il faudra accueillir les clients avec le sourire. Enfin, parmi les nombreux autres « rites », signalons celui de « l'employé du mois ». La direction désigne un « héros ordinaire » parmi les employés pour des vertus de travail correspondant aux « valeurs » de l'entreprise (productivité, qualité, docilité etc.) et l'affiche.
Notes:
1.- NDLR. Le texte très pédagogique de ce collègue a été adapté au format Wiki (entre autres la « perte » d'images d'origine et de droits inconnus) de ce site et les références trop explicites à notre entreprise ont été modifiées, voire supprimées.
2.- F.J. Roethlisberger, W.J. Dickson, « Management and the Worker », Cambridge, Harvard University Press, 1939, 604 pages !
3.- L. Karpik, « Aux États-Unis, en 1927, l'enquête sociale fondatrice », Le Monde, 19 décembre 2009, p. 25.
4.- F.W. Taylor, « The Principles of Scientific Management, New York, Harper & Brothers, 1911.
5.- Philippe Bernoux, « La sociologie des organisations », Point 2009, pp. 81 à 89.
6.- Daniel Crevier, « À la recherche de l'intelligence artificielle », Paris : Flammarion, 1997, pp. 60-61.
7.- Claude Parthenay, Herbet Simon, « rationalité limitée, théorie des organisations et sciences de l'artificiel »,
http://www.grjm.net/documents/claude_parthenay/Parthenay_Simon.pdf
8.- Voir par exemple : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_besoins_de_Maslow
9.- Philippe Bernoux, « La sociologie des organisations », Point 2009, pp. 176-192.
10.- Philippe Bernoux, « La sociologie des organisations », Point 2009, pp. 137 à 146.
11.- Michel Crozier, « Le phénomène bureaucratique », Paris, Le Seuil, 1963.
12.- N. Alter, « Sociologie du monde du travail », Puf, 2008, pp. 83 à 90.
13.- Michel Crozier, Erhard Friedberg, « L'acteur et le système », Paris : Le Seuil, 1977.
14.- Philippe Bernoux, la sociologie des organisations, Paris : Point, sixième édition, 2009.
15.- Les exemples donnent un métier avec une « dominante ». Le plus souvent, les acteurs utilisent plusieurs « ressorts », voire tous.
16.- Charles-Henry Cuin , « Le paradigme “cognitif” : quelques observations et une suggestion », R. franç. sociol., 46-3, 2005,
pp. 59-572.
17.- Ne pas confondre avec la « rationalité limitée ».
18.- Philippe Bernoux, « La sociologie des organisations », Paris : Point, sixième édition, 2009, pp. 146-151.
19.- Philippe Bernoux, « La sociologie des organisations », Paris : Point, sixième édition, 2009, pp. 153-192.
20.- Philippe Bernoux, « La sociologie des organisations », Paris : Point, sixième édition, 2009, pp. 25-41.
21.- Gérard Donnadieu, L'intégration sociale dans les organisations, AFSCET, 17-18 mai 2003, disponible sur :
http://www.afscet.asso.fr/gdAnde03.pdf
22.- Renaud Saintsaulieu, L'identité en Entreprise, dans ouvrage collectif « l'identité politique », 1994, disponible sur :
http://www.u-picardie.fr/labo/curapp/revues/root/33/renaud_sainsaulieu.pdf_4a07eb7dd0b70/renaud_sainsaulieu.pdf
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