Racisme

 

Un article de Livingstone.

Épouvantail ou miroir aux alouettes, le racisme, est souvent un enjeu politique.


Le racisme et son corollaire, l’antiracisme, sont habilement et malhonnêtement exploités par les uns et les autres pour asseoir ou consolider un pouvoir. Comment briser le sortilège qui nous emprisonne, les uns dans la haine, les autres dans la honte ?

Le cerveau de l’homme est doté de trois facultés (entre autres) : celle de manier la théorie des ensembles, source de toute analyse comparative, celle d’extrapoler, à l’origine de toute prédiction, et enfin, celle d’évaluer tous les évènements en plus ou moins favorables ou néfastes. Grâce à ces compétences, l’homme va pouvoir classer, généraliser, mémoriser et oublier. La mémorisation sera d’autant plus efficace que le cycle captation-imagination sera répété.

L’enfant apprendra grâce à ces mécanismes à reconnaître sa « niche » environnementale, c’est-à-dire l’espace de sécurité indispensable à sa prime évolution. À ces engrammes viendra par la suite s’ajouter l’éducation, celle des parents puis celle de la société. Ainsi, l’humain se dote du çà et du surmoi des psychanalystes. Pendant toute sa vie, l’homme continue d’être cette merveilleuse machine de reconnaissance de formes qui associe le vécu au plaisir ou à la souffrance. C’est ainsi qu’à son insu il trouve l’inconnu qu’il croise, sympathique, antipathique ou indifférent. C’est aussi pourquoi l’amoureux éconduit ne comprend pas toujours les motifs de son rejet, car le délit de sale gueule commence déjà dans l’attrait et la répulsion sexuelle.

Mais l’éducation est venue imprégner la notion de bien et de mal au sens du choix biologique, en morale, en bon sens, en toutes ces lois qui font de l’enfant un homme civilisé. Un homme civilisé est un homme qui appartient à une civilisation, c'est-à-dire à un clan, une secte à l’intérieur de laquelle tout est uniformisé même s’il existe des castes normalisées qui peuvent se côtoyer sans jamais se connaître et évoluer dans des mondes quasiment parallèles.

Dans son univers qu’il est censé considérer comme le meilleur, l’homme n’a que la liberté de se soumettre aux lois et traditions en vigueur. Son instinct est subtilement ignoré, car il est persuadé d’être maître de sa destinée. Mais comme dit Henri Laborit : « L’instinct prend des formes extrêmement camouflées qui en font le prince du déguisement, mais l’automatisme d’origine sociale des comportements autorisés est d’une richesse encore plus grande. »

On ne devrait pas cacher la vipère sous l'oreiller.

Et pourtant, l’éducation est comblée de tabous et demande à ce cerveau d’obéir aveuglément aux saints préceptes de la société dans laquelle il a été moulé. C’est le prix à payer à la fois pour se croire libre de choisir et se sentir en sécurité parmi ses concurrents, les pires ennemis, après la mort et la maladie. L’animal inquiet que l’humain n’a pu éliminer de ses tripes a un besoin impérieux de paix. Seul, il est fragile : l’« autre » est indispensable dans sa quête de bonheur.

L’humain s’est donc créé tout un protocole de bonne cohabitation. Ce protocole a été sacralisé sans ne jamais avouer sa véritable fonction : vivre en paix. Et la solution adoptée est toujours la même : assurer l’identité des personnages d’une communauté par l’uniformisation afin que les membres puissent rapidement identifier le danger : l’intrus.

Ainsi, nous sommes entraînés comme le chien de Pavlov à classer nos sympathies et antipathies. Il n’y a aucune différence fonctionnelle dans les conclusions de nos petits neurones entre « une gueule de métèque » ou « celle d’un facho ». Dans les deux cas, les informations ont traversé un nombre supérieur d’évaluateurs négatifs conduisant à un rejet du groupe qui a imposé sa « vision » du monde.

Que de maîtres à penser se sont approprié les droits du savoir-vivre, des catéchismes aux chartes diverses, depuis les premières traces sur les ziggourats jusqu’à la nétiquette ! Que de prisons dorées ont enfermé les « démons » qui nous habitent, véritables ghettos de pensées aux miradors tournés vers l’extérieur !

Hélas, certains ont surtout bien compris quels avantages ils pouvaient tirer de ces refoulements inconscients. À force de sophisme, n’importe quel crime devient bravoure : l’antiraciste peut être aussi aveugle et borné que le raciste. Sous son vernis de gentleman, le premier obéit aux mêmes instincts de survie que le second. Seule l’option stratégique diffère. Pour l’un, il s’agit de ne pas perdre les repères identitaires qui assurent une certaine cohésion et surtout certains avantages, pour l’autre, il faut assimiler la menace et agrandir le groupe afin d’éviter tout conflit. Il n’y a pourtant aucune différence à la source entre le paternaliste, subtil camouflage de la dominance, et celui qui lui répond en crachant dessus.

Au lieu de se combattre à coup de « morale », il serait plus efficace d’analyser le pourquoi du comment du comportement humain. Il serait plus approprié pour un « humain imaginant », d’oser affronter humblement la réalité, ni triste ni mauvaise, de ses faiblesses et de ses peurs. Il faut prendre son sort entre ses mains au lieu d’en laisser la responsabilité aux autres, et se risquer tout nu hors de nos lois à essayer de s’émerveiller du nouveau apporté par l’inconnu.

La difficulté de vivre ensemble n’est pas une abstraction idéologique, mais elle peut nous forcer à nous servir de notre intelligence. Cette même intelligence qui a permis de quitter notre berceau la Terre pour poser, en attendant mieux, nos premiers pas sur la Lune. Cette même intelligence qui peut éradiquer en quelques secondes des milliers de vies au nom de quelle grande vérité.

Il faut se rebeller, contre toute forme d’endoctrinement, même celui à visage humaniste. Il ne suffit pas d’y débusquer toutes les anomalies dans le style « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ». Il ne sert à rien de superposer rustine sur rustine comme si les grands sentiments idéalistes n’étaient qu’un empilage de droits. Il suffit d’ouvrir honnêtement les yeux et de constater tout autour combien nous avons troqué notre égoïsme individuel contre celui de groupe empêtré dans les automatismes de la majorité.

Le but n’est pas de créer une nouvelle société, même plus humaine. Il faut créer un homme, plus sociable, et dire comme l’a écrit Laborit dans l’un des ses livres, l'agressivité détournée :« Si le temps arrive où chaque homme, sachant ce qui l’attache à la matière, connaissant les règles qui commandent à son comportement social, pourra se rendre indépendant de ces déterminismes, c’est-à-dire les utiliser consciemment pour les dépasser sans s’y soumettre inconsciemment, en s’y enlisant, si ce temps de l’imagination créatrice arrive, il est alors possible que nous puissions dire qu’une mutation dans l’espèce humaine s’est réalisée. »

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