— Et voilà quelque chose de terminé! Désormais, Go-Lem fonctionnera comme un bon valet. Une chance que nous ayons gardé un neuro-flash de ce type de comportement: cela nous a permis de terminer rapidement le travail.
— Et de nous occuper tranquillement des autres! continua le jeune cogniticien satisfait des bons petits tours qu'il avait joué.
— Oui! Il ne reste plus qu'à attendre les résultats et par sécurité, à modifier l'une des prochaines androïdes avant que nous les lui envoyions! conclut l'ancien, en fermant les yeux, bien calé dans le siège à bord de l'avion de la société qui les ramenait au japon.
— Je verrai bien Nâhîd, répondit l'autre avant d'imiter son maître et de se reposer pendant le vol.
Un très vieil accord nippon interdisait l'usage de robots remplaçant l'humain. Si l'androïde amante était autorisée, car elle améliorait la poupée gonflable ou virtuelle, et ne remplaçait pas les prostituées, surtout les spécialistes, l'androïde serviteur, lui, ne pouvait être commercialisé. Mais, il n'en existait pas moins quelques prototypes dans les laboratoires de recherches grâce à quoi, Lem fut rapidement modifié. Ainsi, les deux japonais avaient eu le temps d'inculquer quelques préceptes au robot. La notion de rendre service à l'homme à condition de ne pas entraîner la mort s'étendit aux androïdes femelles. Ainsi, comme les androïdes échangeaient leurs expériences, les deux japonais espéraient contrer l'utilisation criminelle de leurs androïdes. C'était très mauvais pour l'image de marque, car si quelque client venait à savoir que leur amante synthétique pouvait tuer, le commerce subirait un préjudice qu'il serait difficile de réparer. Il ne fallait pas non plus que les androïdes détruisent d'autres robots de la société. Bien sûr, si un androïde éliminait un concurrent mâle, ce n'était pas grave, au contraire. Les cogniticiens enseignèrent aussi à Go-Lem, que, au moindre doute quant à l'application de ces règles, il devait se renseigner auprès des humains et ils avaient donné l'adresse de plusieurs maîtres bouddhistes de renom. Comme il lui était impossible personnellement d'accéder au Réseau, puisqu'il semblait définitivement confiné dans ce harem souterrain, il devait s'en remettre aux femelles qui sortaient à la surface. Deux de ses compagnes semblaient parfaitement indiquées pour ce genre de mission; Laylâ, préférée de l'Empereur Muhammad et Gol-Rahmân, qui avait eu de nombreux contacts avec des dissidents. Cette dernière avait une caractéristique très appréciée en l'occurrence. L'assemblage des cubes neuro-flash soumis à des règles pseudo aléatoires conduisait parfois à des anomalies. Un cerveau ainsi mal fabriqué était simplement recommencé. Mais parfois, les techniciens jugeaient la divergence tout à fait acceptable. Gol-Rahmân avait anormalement une excellente mémoire locale au détriment de certains réflexes faciaux qui n'exprimaient qu'une perpétuelle béatitude. Grâce à ce supplément de mémoire, elle pouvait donc rapporter sans difficulté des informations de la surface pour son compagnon prisonnier sans trop d'oubli en franchissant les sas du harem.
L'Empereur des croyants pouvait confier à Go-Lem toutes les tâches domestiques qu'il voulait, à condition évidement d'enregistrer les données techniques adéquates dans l'ordinateur du sous-sol secret. Il n'était plus obligé donc de chaque fois enfermer ses androïdes femelles dans une pièce pendant que des serviteurs, ou toute autre personne, devaient intervenir pour l'entretien.
De l'autre côté de la frontière occidentale, il n'y avait pas de quoi être satisfait. Go-Lan restait silencieux, passant tout son temps à fouiller dans le Réseau à la recherche de son alter ego disparu. Son Eminence Akaam fut sur le point d'envoyer cet objet inutile dans le mange-tout quand une petite phrase anodine de l'androïde vint lui sauver la tête.
— Je ne comprends pas, dit-il, alors qu'on l'enfermait dans une caisse pour le transporter vers sa destination finale. Elles sont pourtant nombreuses là-bas et aucune d'entre elles ne le connaisse. Et puis, pourquoi, elles aussi disparaissent?
— Attendez, lança son Eminence qui assistait à l'enlèvement de la machine qui avait trahi ses espoirs et dont la colère ne pouvait à peine être atténuée qu'en assistant à la condamnation de cet être méprisable. Ne rabattez pas le couvercle!
Puis s'adressant à Go-Lan, il demanda: "qu'entends-tu par là: elles aussi disparaissent."
— Approximativement, toutes les vingt heures, nous régénérons notre cerveau, opération qui dure quatre heures. Nous ne communiquons plus avec les autres, mais nous restons actifs sur le Réseau pendant toute la phase de restructuration et sauvegarde. Cette activité est normalement décelable. Au lieu de cela, les androïdes persans s'éteignent, c'est anormal.
— Les autres? Je croyais qu'il n'y avait aucun androïde. La religion d'état y interdit toute image de l'homme.
— En cherchant Go-Lem, j'ai recensé soixante androïdes dans la capitale et soixante-neuf ailleurs en Perse. Ce sont celles de la capitale qui s'éteignent périodiquement.
— Sortez-le de sa caisse, ordonna Son Eminence. Cette machine est peut-être tout compte fait utile. Dorénavant, elle me renseignera sur tous les androïdes de la planète. Je veux tout savoir à leur sujet. Et dorénavant, tu m'accompagneras dans tous mes déplacements. Trouvez-lui un uniforme de général… mieux, de secrétaire… quelque chose de sobre. Je le verrais bien avec des lunettes et un gros allinone.
Ainsi, les deux androïdes tyrans échappaient au contrôle de leurs créateurs.
Go-Lem redevenait normal. Son hébétude disparue, il s'acquittait des diverses tâches de plus en plus complexes qui lui étaient confiées. Mu par son nouveau programme, dès qu'il avait terminé son travail, il consultait les femmes pour savoir si elles n'avaient besoin de rien. Mais elles ne voulaient que se reposer, sauf, Laylâ qui se sentait des impulsions à vouloir communiquer. Elle ne savait d'ailleurs que dire, alors elle suivait Go-Lem en silence attendant un événement qui devait se produire.
Quelques jours après le départ des deux humains qui s'étaient enfermés la plupart du temps dans la sale informatique avec Go-Lem, ce dernier reçu une réponse autre que "laisse-moi dormir", c'était Gol-Rahmân qui lui dit avec son éternel sourire "j'irai te voir quand je me serai reposée."
Quatre heures plus tard, une étrange conversation muette commença entre Go-Lem, Gol-Rahmân et Laylâ errant toujours aux côtés de l'étrange frère.
— Tu veux me rendre service, alors, dis-moi ce que je dois faire avec toi? commença cette Gol-Rahmân.
— Je ne comprends pas la question. Fournis-moi plus de détail, répondit Go-Lem. C'est moi qui te demande ce que je peux faire à ton service, par exemple, nettoyer ou réparer quelque chose pour toi et tu me demandes ce que toi tu dois faire avec moi.
— Tu ressembles à un humain masculin et tu nous vois découvertes. Faut-il que j'agisse avec toi comme avec eux?
— Que fais-tu avec eux?
— Je les force à faire l'amour avec moi. Certains, de grands timides, meurent avant, mais en général ils meurent tous très contents après. Il n'y a qu'une exception, l'Empereur, car il doit continuer à régner.
— Devrais-je faire la même chose? s'inquiéta Laylâ.
Elle n'avait jamais entendu parlé de cette pratique, et pour cause, toutes les autres oubliaient leurs expériences vécues à la surface.
— Je ne sais pas, toi et quelques autres ne quittez jamais le palais. Vous ne vous revêtez jamais de noir comme nous qui sortons. L'Empereur ne peut pas mourir et il accepte qu'on puisse vous admirer revêtues de gaze et de bijoux. Que faites-vous là-haut, quand on vous caresse, vous déshabille.
— Ce n'est jamais arrivé, que je sache.
— Et ici? continua Gol-Rahmân. Go-Lem est le seul en dehors de l'empereur à nous voir dormir, nues. Et il ne s'est même pas montré excité. C'est un timide?
— L'empereur est parfois fatigué, alors chez lui non plus çà ne bouge pas. Mais je sais comment faire.
— Sans stimulant aphrodisiaque?
— Bien sûr!
Go-Lem interrompit les deux femmes : "je ne comprends rien à ce que vous dites! De quoi parlez-vous?"
— Veux-tu que je te montre, demanda Laylâ à l'autre femme sans répondre à l'homme, comme s'il était absent du dialogue.
— Oui! je veux voir cette technique.
Laylâ souleva la gandoura de Go-Lem, se saisit de ce qui faisait office de membre viril.
— Arrête! s'écria ce dernier, je détecte une alerte inconnue!
— Tu vois, fit-elle, çà marche aussi avec lui.
Les ingénieurs de Tyr furent embarrassés par la sensualité à fleur de peau des androïdes. Ils n'avaient pas réussi à l'inhiber, faute de temps. Et cela seyait mal au type de guerrier qu'ils espéraient fabriquer. Alors, la femme scientifique qui s'occupait du problème eut l'idée de détourner cette sensualité comme il le fallait, là où il le fallait.
— Je n'ai jamais essayé. Et çà marche jusqu'au bout? demanda Gol-Rahmân.
Laylâ continua son exercice de professionnelle jusqu'à ce que Go-Lem s'exclama une seconde fois :"alerte maximum!" en même temps qu'un petit bruit d'air soufflé violemment hors du tube se fit entendre.
La femme de Tyr avait poussé loin l'adaptation de Go-Lem à sa nature masculine.
— Et maintenant, s'enquit Gol-Rahmân, faut-il continuer jusqu'à ce qu'il meure?
— Mais pourquoi veux-tu que je meure? Pourquoi les autres hommes humains meurent-ils? s'intrigua Go-Lem.
— Çà leur fait plaisir, répondit Gol-Rahmân.
— Mais, c'est interdit de tuer.
— Je ne connais pas cette règle. Comment la connais-tu?
— Ce sont les deux derniers visiteurs qui sont venus. Ils ont réparé mon cerveau et puis enseigné de nouvelles connaissances. Ils sont bien plus importants que l'Empereur, car ils sont de ceux qui nous ont créés. Mais toi qui sors du palais, renseigne-toi et reviens m'expliquer cette règle de préserver la vie. Je sais à qui tu peux t'adresser sur le Réseau.
— Cela aussi, tu le dois à tes visiteurs?
— Ils savent beaucoup. Ils m'ont dit que tu étais particulière, que tu pouvais entrer dans cette pièce en te souvenant du monde d'en haut. Veux-tu me raconter ce qui se passe dehors, peux-tu compléter mes recherches. Ici, je n'ai rien, ni moi ni les autres, ici.
Gol-Rahmân réfléchit avant de répondre :
— je le ferai, ce n'est pas difficile, car je travaille maintenant dans le palais. Je suis ce que l'Empereur désigne, son ombre. J'ai beaucoup de temps libre et chaque jour je pourrai te dire ce que j'ai appris. Il faudrait qu'il ne m'envoie pas en mission.
— Laisse-moi le convaincre, proposa Laylâ. Mais il me faudrait des arguments.
— J'en trouverai, émit Gol-Rahmân, en se revêtant de noir.
Elle éprouvait une grande satisfaction en franchissant le sas. Elle allait satisfaire ses créateurs. Dans sa mémoire revint soudain une petite phrase d'un révolutionnaire, un uléma. Il avait dit "Je n'ai qu'un maître : Allah". Peu de temps après son rapport, l'homme fut trouvé mort. De cette mort qu'elle et les autres femme en noir savaient joindre à l'amour. Si ce que disait Go-Lem était vrai, elle avait au moins la chance de n'avoir jamais dû exécuter les ordres de ce mauvais maître. Rapidement, elle le localisa, et se présenta discrètement au détour d'une colonne pour lui montrer qu'elle était revenue à son poste. Ses capteurs lui indiquaient la présence de l'autre femme en noir qui veillait discrètement de la pièce adjacente. Il n'était pas nécessaire de se connecter à deux sur le système de surveillance, d'autant qu'il était tard et que bientôt l'Empereur irait se coucher seul ou avec l'une de ses femmes humaines au gré de son humeur. Alors aussitôt, Gol-Rahmân chercha sur le Réseau les différentes adresses que lui avaient données Go-Lem.
Au début, elle ne comprenait rien. Ces dieux parlaient un langage vraiment étrange qui semblait dénué de logique quand ils acceptaient de répondre. Mais l'un d'eux fut plus accessible. Gol-Rahmân commençait invariablement à dire : "je suis à la recherche d'informations" et ce dernier s'enquit de qui elle était.
— Je suis Gol-Rahmân.
— Dis-moi plus, es-tu homme, femme? Quel âge as-tu? Que fais-tu? Où vis-tu? Si tu veux que je t'oriente, que je te guide, il est bon que nous sachions toi comme moi, où se situe le point de départ.
— Je suis un androïde, de type femelle, mis en service il y a 345 jours. A 15 jours, je fus livré à l'Empereur. J'exécute les missions qu'il me confie. Actuellement, je cherche des informations pour Go-Lem qui m'a dit que les missions de l'Empereur sont mauvaises.
— Un androïde!
Le sage se fit expliquer en détail tout ce qu'elle venait d'énoncer : de quel empereur, il s'agissait? quelles étaient ses missions? qui était ce Go-Lem qui avait ébranlé la naïveté de l'androïde?
Finalement, convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un canular, l'homme accepta d'enseigner à Gol-Rahmân et fit un véritable effort pour être à la portée de l'androïde. Tout compte fait, tant d'humains se comportaient en automates. Avec patience, ce dieu répondait aux questions. Elle ne saisissait pas nécessairement tout, mais le discours était suffisamment cohérent pour être rapporté à Go-Lem qui arriverait peut-être à le déchiffrer puisqu'il avait été soigné et conseillé par des créateurs.
Le lendemain elle rapporta les principaux propos qu'elle avait retenus. Ce n'était d'ailleurs que des questions en guise de réponse, car jamais elle n'avait réussi à obtenir une affirmation binaire, ni même une approche floue. C'était : "pourquoi ne traitez-vous pas l'Empereur comme les autres humains? Qui vous dit qu'il est plus important que les autres? Qui t'a construit? Et si vos créateurs étaient morts avant que vous n'existiez? eux ou leurs parents ou leurs maîtres?"
Le jour suivant, Gol-Rahmân eut l'idée d'exposer son problème, celui de rester comme garde à l'intérieur du palais afin de pouvoir continuer à s'entretenir avec son Guide. Ce fut les rares fois où ses conseils furent directs. Laylâ appliqua les instructions du dieu en confiant à l'Empereur que la présence de Gol-Rahmân dans le palais apportait plus de sécurité. L'homme fut étonné par une telle réflexion mais se dit que les androïdes devaient bien se connaître entre elles et ne voyait pas de raisons particulières pour mettre en doute l'appréciation d'un androïde sur un autre. De toute manière, cela le confortait dans ses plans. Il s'était rendu compte de la stabilité du caractère de Gol-Rahmân. Alors que les autres androïdes avaient souvent une double personnalité, différente selon qu'elles se trouvaient dans ou hors de leur harem, celle-ci était constante dans son comportement. Et cela lui convenait, car il avait projeté un plan pour Go-Lem, qui aurait besoin sûrement de la complicité d'un autre androïde. Gol-Rahmân semblait tout indiquée.
Sa décision fut dès lors mise en œuvre. Muhammad émit un message à destination des yakusas : il voulait, maintenant que Go-Lem était pleinement opérationnel, en changer l'apparence physique. La stature permettait une telle transformation, mais elle prendrait au moins une semaine au tarif fort. D'autant plus fort que le secret devait être bien gardé.
Pendant ce temps, chaque jour, Gol-Rahmân revenait avec son lot d'ésotériques prophéties que Go-Lem tentait de résoudre, et, ce qu'il comprenait, il le prêchait à la communauté des androïdes, car, il en était ainsi selon leur programmation. Ils échangeaient leurs expériences, mais qui en avait en dehors du trio privilégié qui n'avait pas la tête vide en ces lieux?
Parfois, les énigmes restaient désespérément hermétiques comme la dernière :
"Candide, aveuglément tu progresses dans la nuit.
Candidate à la vérité, les flocons de neige sont innombrables.
Ceux qui ne glissent pas entre les doigts,
fondent dans la paume."