planète Hôdo
Tome II, Homo Syntheticus
Chapitre 25. Muhammad le Nouveau.

— Pourquoi m'avez-vous envoyée là-bas? agressa tout de suite la femme humaine de retour de Tabriz et du sinistre motel.

— J'avais besoin de quelqu'un de confiance, répondit calmement Go-Lem.

— Moi! Vous disposez d'agents de toutes sortes, plus compétents que moi, des gens de confiance, sûrement. Et c'est moi que vous choisissez, comme çà, d'un claquement de doigts. Tout çà pour vous dire que j'ai vu votre œuvre funeste et que ce fut une réussite, sans doute.

— Je ne peux pas tout vous expliquer. Je ne savais pas ce que vous trouveriez là-bas. Je voulais quelqu'un dont j'étais sûr des sentiments à mon égard. Nombreux sont ceux qui me sont dévoués, et parmi eux, nombreux ceux qui ne le sont qu'en apparence, par calcul, par intérêt, par mode, futurs potentiels ennemis. Vous, vous ne me flatteriez en aucune manière. Vos dires me sont précieux et je veux maintenant que vous me racontiez tout ce que vous avez vu.

— J'ai vu un carnage. Des morts partout. En décomposition. Cà puait, c'était horrible à voir. Il y avait aussi plein de robots démolis. Il y en avait même un qui répétait inlassablement une phrase enregistrée.

— C'est tout? Rien ne vous a particulièrement frappé?

— Ecoutez, c'était horrible à supporter. Je n'ai pas eu le désir, ni la force de m'attarder sur les lieux. Bien qu'en y réfléchissant de nouveau, j'ai eu l'impression de reconnaître les deux personnages de la chambre la plus insupportable, celle où les dégâts était plus importants.

— Reconnaître?

— Cela peut paraître stupide, j'ai eu l'impression que l'une des victimes vous ressemblait vaguement, sans doute à cause de la barbe. Par contre, on m'aurait dit que je me trouvais en face d'un frère de Son Eminence qui nous attendaient à Tabriz, que je l'aurais cru. Ces similitudes m'ont étonnée mais les visages étaient tellement défigurés, l'odeur et le spectacle si insupportables que j'en avais la nausée. Qui étaient-ce, ces gens?

— Je vous l'ai déjà dit, des émissaires pour négocier la paix. Vous avez pu juger par vous-même que la paix n'enchante pas tout le monde.

— Maintenant qu'attendez-vous de moi? Vous n'avez plus besoin de mes services, quand allez-vous me condamner? Qu'on en finisse! Ce jeu macabre m'écœure suffisamment. Je me demande si vous ne m'avez pas envoyé là-bas à cause de la ressemblance des deux émissaires et maintenant j'en sais de trop. Idiote d'avoir cru que vous me donniez une chance!

— Je vous ai promis la liberté, vous l'avez. Au paravent, j'aimerais vous écouter, comprendre votre révolte. Je n'ai pas le temps, maintenant, aussi je vais vous faire conduire dans une chambre d'invité.

— Prisonnière?

— Nâhîd et Laylâ, accompagnez-la, et veillez à ce qu'elle ne manque de rien.

Go-Lem jeta un coup d'œil vers la prophétesse et quelques minutes plus tard, Nana, Go-Lan et Petit Cheval Blanc entrèrent à leur tour dans le cabinet de l'Empereur.

— Ce que j'ai à vous annoncer est très important, commença le faux Muhammad. J'ai longuement analysé la situation avec Gol-Rahmân. Je viens d'exécuter un petit test avec une humaine. Votre opinion, surtout la vôtre, Petit Cheval Blanc, sera décisive.

Go-Lem expliqua surtout pour l'humain, qu'il avait l'intention d'assumer son rôle d'Empereur jusqu'au bout. Personne ne savait que le maître de Perse était mort, ni qu'il avait un sosie. Pourtant la femme qui les avait accompagnés, avait constaté des similitudes gênantes.

"Comme vous le savez, et bien que mes créateurs aient tenté d'effacer mon programme original, nous, androïdes, devons faire plaisir aux humains. C'est notre mission initiale.

Gol-Rahmân m'a beaucoup appris sur la vanité humaine, sur ses schémas de pensées, sur ses comportements égocentriques. Tous vos malheurs ne viennent que de vous-mêmes, prétendument amoureux de liberté et pourtant en permanence séquestrés dans des formes de pensées plus confinées que les prisons les plus hermétiques.

J'en suis arrivé à la conclusion que gouverner des humains dans le but de les aider à cohabiter ne peut-être réalisé par eux, puisque les dirigeants aussi probes soient-ils, ne verrons toujours que la solution qui convient à eux et à eux seuls. L'androïde que je suis n'a pas de désir de pouvoir, n'a pas de vérité à défendre. Je n'ai qu'un besoin : de l'énergie. Je n'ai qu'un but : satisfaire mon créateur, c'est-à-dire, vous, humains. Je suis donc probablement le plus apte à reprendre le pouvoir vacant de Perse. Or personne ne s'est rendu compte de la transition. Il n'y a donc aucun bouleversement. Je continue mon œuvre, mais cette fois à ma manière.

Petit Cheval Blanc, vous êtes dans la confidence, ainsi que le père de Gol-Rahmân. Je sais combien vous êtes soudé, avec deux autres humains et avec votre planète Hôdo. Je vous demande de rester discrets tant que les humains ne seront pas capables d'accepter le fait d'être diriger par un androïde. Je sais que vous en êtes capables, puisque l'existence même de votre monde est restée longtemps secrète.

J'aurais peut-être pu me passer de votre complicité, même pour faire disparaître les vrais Muhammad et Akaam. Mais j'ai besoin de conseils. Non pour diriger ce peuple, je ne désire pas que vous interfériez dans ma neutralité, mais dans mon apparence humaine pour être crédible à vos yeux.

Parallèlement, le pense que Go-Lan ne peut continuer son rôle. Je crois qu'il a été manipulé à son insu et donc, il doit disparaître de la scène. Les lois en vigueur en Nouvelle-Mésopotamie désigne d'ailleurs Ghâzel comme successeur de son mari. J'ai besoin de votre aide pour rendre cela plausible."

Petit Cheval Blanc ne put s'empêcher de marmonner pour lui-même :"quelle histoire de fou!". Pourtant, il accepta :" la connerie humaine finissait par me donner le cafard, alors, va pour une expérience inédite!". Il avait depuis trop longtemps côtoyé des déshérités hors-la-loi et des androïdes si humains. L'idée était folle, certes, mais l'Humanité était folle. Un peu plus ou un peu moins, la différence était négligeable, et un peu de piment dans l'Histoire cycliquement rejouée comme des "remake" aux scénarii inchangés malgré une mise en scène adaptée aux nouvelles technologies en cours.

— Il reste pourtant un point à éclaircir, intervint Go-Lan. Qui est à l'origine de l'attentat, et pourquoi?

— Est-ce vraiment important de répondre à cette question, répondit le nouvel Empereur. Je l'ai dit, les humains n'agissent qu'en fonction de leur vérité au détriment de toutes les autres qui ne conviennent pas. Même en pensée, ce sont des prédateurs.

Petit Cheval Blanc se sentit mal à l'aise tout à coup. Le jugement était sévère, que se passerait-il si un androïde comme Go-Lem devenait fou, oubliant son programme initial? Il se promit qu'il examinerait attentivement cette question cruciale, et le plus tôt serait le mieux. En attendant, il savait qu'il pouvait accorder sa confiance aux trois gynoïdes de Hôdo.

— Je pense pourtant, fit-il, que Go-Lan a raison. Il s'agit bien à mon avis d'un coup d'état pour ébranler la Nouvelle-Mésopotamie. Je ne serais guère surpris si j'apprenais que la mort de Muhammad n'était qu'accidentelle, un effet collatéral comme disent pudiquement les politiques. Je vous suggère de retourner sur les lieux du drame, d'y faire le ménage et de recueillir un maximum d'informations pour mener l'enquête. Je me chargerais par la suite d'annoncer la nouvelle de l'assassinat de Son Eminence.

— Pas vous! coupa Nana. Des douaniers vous ont vus avec un homme qui, ils s'en rendront compte immédiatement, était la victime.

— Si je comprends, je suis grillé! réalisa amèrement Petit Cheval Blanc. Alors moi aussi je devrais me planquer! Tout compte fait, ce n'est pas une mauvaise idée, là! On pourra ainsi détourner l'attention de tout le monde sur de faux assassins et ainsi mieux traquer les vrais. Mais qui alors se chargera de brouiller les pistes au motel?

— Je ne vois que vous, mais après il vous faudra disparaître, répondit l'Empereur. De mon côté, je demanderai conseil au deux Japonais qui m'ont soigné. Dépêchez-vous, je crois que les évènements vont s'accélérer.

Le trio retourna au motel. C'était heureusement un lieu très reculé. La police n'était pas encore venue visiter les lieux. Les seuls visiteurs étaient un couple clandestin qui avaient rebroussé chemin sans mot dire. Rapidement, Petit Cheval Blanc récolta les restes de Muhammad dans un grand sac étanche, Nana prit quelque pièce d'androïde et la tête parlante. Pendant ce temps, Go-Lan faisait le guet. Au bout de deux heures, plus aucune trace compromettante pour Go-Lem ne restait sur les lieux. En quittant les lieux, Petit Cheval Blanc régla la minuterie de la bombe incendiaire qui devait consumer les restes du motel et rendre les pièces à conviction difficilement exploitables. Le trio était déjà loin lorsqu'un panache de fumée s'éleva sur les bords du lac d'Ourmia. Le véhicule présidentiel les conduisait vers Bakou car ils ne pouvaient plus se rendre en Perse. Un sauf conduit diplomatique facilitait leur déplacement et les démarches. Dès le lendemain, le tycho-drôme de Nana décollait vers Jupiter, puis Hôdo.

Pendant ce temps, l'Empereur avait rappelé la femme rebelle. Il voulait comprendre ses agissements et pourquoi elle devait en être châtiée. Celle-ci fut surprise de tant d'attention de la part de cet homme qu'elle prenait pour un dictateur. Elle représentait une association de lutte féminine qui luttait pour leur liberté et Go-Lem, alias Muhammad, la déconcerta tout de suite lorsqu'il demanda d'une voix où elle put discerner de l'ironie : "Qu'est-ce la liberté? Oter ce voile? Le mettre? Tout cela est bien futile. Qu'y gagnerez-vous?"

— D'accord, d'accord s'emporta la femme. Ces imbéciles de juges n'ont vu que le voile. Ce n'est qu'un symbole. Mais ce symbole représente notre esclavagisme.

— Des esclaves, s'étonna Sa Grandeur. Je n'étais pas au courant.

— Ne faites pas l'idiot. Des esclaves, oui. Sans chaînes, sans boulets, mais avec un voile. Cet oripeau nous marque d'infériorité, nous sommes les servantes de ces messieurs : bonnes pour leurs plaisirs et pour procréer…

— Bonnes pour leurs plaisirs? Je ne vois pas le problème. C'est un honneur autant que je sache!

— C'est bien ce que je pensais : sous vos airs débonnaires vous n'êtes qu'un vieux macho despotique. Et vous, lança-t-elle à de Gol-Rahmân, enfermée dans votre silence complice, vous êtes peut-être pire que lui!

Go-Lem ne répliqua pas. C'en était fini de la discussion pensa la femme. Un lourd silence pesa sur sa fragile tête. Les deux androÏdes réfléchissaient et dialoguaient avec un quatrième personnage qui n'était pas présent dans la pièce, le moine zen. Finalement, Go-Lem reprit la parole.

— Expliquez-moi, pourquoi contenter les autres vous est intolérable.

— Ce n'est pas cela en soit que je conteste, c'est d'être traitée en esclave. Je vous le répèterai combien de fois. Vous essayez de me troubler? Vous n'y arriverez pas!

— Je voudrais surtout que vous me disiez ce qui peut vous satisfaire.

La femme éclata de rire.

— J'apprécie votre rire. Le prophète a dit que la vie dure aussi longtemps pour celui qui rit que pour celui qui pleure.

— Le Prophète a dit çà! Quel verset, quelle sourate?

— Qu'importe! Répondez à ma question.

— Je veux que les hommes respectent les femmes.

— Comment? ils ne vous font pas plaisir?

— Vous ne pensez qu'à çà! Tous les mêmes! Sa Sainteté plus que les autres!

— Ecoutez. Je ne vous comprends pas du tout. C'est pourtant bien l'un des thèmes principaux de la littérature et de bien d'autres arts. Vous ne sortirez pas de ce palais tant que le problème ne sera pas réglé.

— Je suis donc bien prisonnière?

— Si çà vous gêne, sortez, mais revenez tant que je n'aurai pas élucidé ce qui vous tracasse.

— Sortir! s'étonna la femme. Je peux.

— Il faudrait tout de même savoir ce que vous voulez.

La femme sortit, hésitante, à reculons. Quel piège l'attendait au-delà des portes du cabinet? Lentement, elle poussa les battants. Immédiatement deux gardes l'encadrèrent, l'un d'eux s'adressa à L'Empereur dans une profonde et respectueuse inclinaison : "Où faut-il emmener cette petite vermine, Son Illustre Sagesse?"

— Cette humaine est libre d'aller où bon lui semble.

La femme regarda ébahie Son Illustre Sagesse et lui demanda bravement :"sans voile?"

— Encore! Si cela vous fait vraiment plaisir…

Les deux hommes écarquillèrent les yeux. Celui qui avait parlé un peu plus tôt osa demander : "ai-je bien compris, Mon Empereur?"

— Avec vous aussi, je m'entretiendrai. Cette histoire de voile m'intrigue et je voudrais comprendre ce qui rend malheureuse cette femme. Tout à l'heure, je vous appellerai. Après ma prière.

L'homme s'inclina encore plus profondément, par crainte ou respect, voire les deux et murmura : "C'est que la loi…"

— La loi! Nous en parlerons. Maintenant, laissez-moi seul.

Dès que la porte se referma, Muhammad le Nouveau se tourna vers sa compagne et lui transmit en pensée : "dommage que tu ne sois humaine pour juger de ma prestation. C'était particulièrement difficile de comprendre ces humains. Il faudrait absolument que l'un d'eux puisse m'aider sinon ils risquent de découvrir trop rapidement que je ne suis pas leur Empereur."

— Demande conseil à Nana, elle n'a peut-être pas encore quitté le système solaire. Elle a de bons rapports avec les humains. J'ai par ailleurs noté que tu as commis quelques erreurs qu'il faudra éviter.