La version PDF Hôdo II, Homo syntheticus, Chapitre 29. Bluff.
planète Hôdo
Tome II, Homo Syntheticus
Chapitre 29. Bluff.

— Ne prenez pas ce jugement pour une insulte, Sa Grandeur m'a rappelé un film de l'ancien temps, "Le dictateur". Le personnage central, quelqu'un d'humble, était le sosie d'un dictateur. Et le hasard voulut que le héros dût improviser un discours à la place de ce dictateur. J'ai trouvé de troublantes similitudes entre son discours et le vôtre.

— Qui était-ce héros? demanda Go-Lem au nonce apostolique.

— Charlie Chaplin.

— Il est mort, je présume, puisqu'il s'agit d'un antique film.

— Hé, oui, depuis bien longtemps!

— Dommage, je l'aurais aussi invité.

— Et dites-moi où avez-vous trouvé cette charmante description qui parle de gouttes au clair de lune, et d'une place au soleil pour chacun?

— L'Empereur Mitsuito.

— Je ne connais pas!

— Comme moi, votre Chaplin. C'est bien parce que vous connaissez d'autres choses que moi que je vous ai invité.

— Bien sûr, je comprends, mais à ce point! Avouez que c'est surprenant. Je ne suis pas musulman et vous me demandez d'orchestrer une fête comme si cela eût été le Pape.

— Et alors, où est le problème?

— Disons que c'est inhabituel…

— Une termitière ne se fabrique pas du jour au lendemain!

— Pardon?

— Il faut bien un début à tout!

— Ha! Je vois, un dicton africain, je présume. C'était vraiment le sens de la phrase?

— C'est celui que je lui ai donné.

— Empereur! Vous êtes si différent de l'homme que je connais de réputation! Je suis un cinéphile, je me passionne pour ces vieilles œuvres du passé. On y apprend tant de leçons, et notamment que l'humanité ne change guère. Je prierai Dieu pour qu'il vous protège. Prenez garde à ne pas terminer comme un Thomas Becket. Oh! J'oubliais, vous êtes un féru de l'Extrême Orient. Plût au ciel que vous ne soyez un Kagemusha.

Le nonce repartit pour la Ville de la Paix le soir même de la fête nationale laissant Go-Lem à ses prières. En fait, ce dernier ne pria pas. Il dormait. Cela faisait plus de vingt heures qu'il veillait et l'alarme du sommeil devenait pressante.

Dehors, l'émoi était à son comble. De la vénération au mépris, tous les sentiments éclataient au grand jour.

La nuit peut aussi apporter conseil aux androïdes. Lorsque Muhammad se réveilla, il se sentit obligé de visionner les films dont avait parlé le nonce. Un malaise le prit : il comprit que l'ambassadeur du Pape l'avait démasqué. Aussitôt il fit part de ses appréhensions à Gol-Rahmân qui se mit en contact avec son sage. Celui-ci rassura un peu le couple : "Il a compris que vous étiez un sosie, mais sait-il que vous êtes synthétiques? Et puis, en parlera-t-il autour de lui? Il n'est pas improbable qu'il taise cette information, attendant l'opportunité de la dévoiler."

Il faudrait que Go-Lem soit plus prudent la prochaine fois qu'il réclamerait les conseils d'humains. Il vaudrait mieux aussi qu'il s'adressât à des ulémas plutôt qu'aux représentant d'autres religions. Les humains étaient très chatouilleux dans le domaine religieux qui était et reste source, ou prétexte, de nombreux conflits.

C'était bien là le problème, comment faire appel à un imam alors qu'il était lui-même un ayatollah. Comme si le fait d'être le chef d'un état n'était en soi pas assez compliqué!

Pourtant la voix de la sagesse, par l'intermédiaire de la Prophétesse, l'encourageait à oser poser ses questions. Go-Lem examina son agenda. Avec satisfaction il découvrit qu'il y avait un rendez-vous avec un Mollah qui, coïncidence, résidait aussi dans la Ville de la Paix. Dommage qu'il ne le sût à l'avance, il eût été plus judicieux de faire venir cet homme à la place du nonce trop perspicace. Il est vrai qu'il n'était attendu que pour la semaine suivante. Et s'il acceptait de venir plus tôt. Muhammad lui envoya un message. La réponse ne se fit pas attendre. Le docteur en loi acceptait d'avancer sa visite. Il considérait que c'était lui rendre beaucoup d'honneur, et qu'il viendrait dans deux jours.

Deux jours! Go-Lem se limita à essayer de respecter ses tâches avec le moins de maladresses possible.

Soudain un message lui parvint. Il ne connaissait pas Chica, mais cette dernière se disait issue de Hôdo, sœur de Nana et en compagnie d'un savant qu'il connaissait bien : Suga.

Si un androïde devait définir le soulagement, c'était bien Go-Lem qui était le mieux placé.

Deux jours, pour que les secours arrivent! Plus que deux jours!

Nic arriva dans la matinée, l'uléma devait arriver l'après midi. Go-Lem eut le temps de raconter toutes ses péripéties.

— Bien! conclut le commandant hôdon qui se sentait revigoré car il aimait les situations désespérées. Pour ce qui est du nonce, nous nous en occupons. Nous connaissons un ami qui s'en chargera. Votre agenda, pouvez-vous le transférer sur mon allinone, ainsi que celui de mes compagnons.

— Que comptez-vous faire?

— A dire vrai, je n'en sais encore rien. En attendant, il faudra que vous me présentiez à tous vos fidèles, surtout les humains.

— Comment vais-je vous présenter?

— Comme il se doit. Je suis LE représentant de la planète Hôdo, et voici mes conseillers, fit-il en désignant ses trois complices. Rûdâba, n'oublie surtout pas que tu es de Hôdo. Tu es ici pour la paix non pour la guerre.

— J'ai appris à vous faire confiance, Commandant. Je ne resterai que votre interprète.

— Parfais, Suga et Chica s'occuperont des androïdes, nous deux des humains. Je voudrais les voir au plus vite.

Dès leur première rencontre, Natacha Jubran et le jeune conseiller de l'empereur s'étaient épris l'un de l'autre. Comme leur conviction, et surtout leur image, leur interdisait d'accepter l'offre de vivre dans le palais, mais comme ils s'y rendaient souvent, ils vivaient dans la capitale. Le jeune venait dans son bureau chaque matin, et sa compagne était facilement joignable.

Quand les quatre terriens, le jeune couple et les deux gardes, furent réunis dans la grande salle des réunions, Go-Lem fit sommairement les présentations.

— Je vous avais prévenu que j'aurai une visite importante. J'ai le plaisir de vous annoncer, à vous mes plus proches collaborateurs mes illustres invités. Vous êtes les premiers Terriens après moi à rencontrer le représentant d'une lointaine planète.

La surprise et l'admiration se peignit sur le visage des fidèles de l'Empereur. Il était devenu bizarre ces derniers temps. Cela leur paraissait soudain logique. Quelle responsabilité, quelle gloire de recevoir des extra terrestres, un de leur chef. Et dire que les deux gardes ne s'en étaient même pas aperçu. Bien sûr, à part l'une des femmes en tenue traditionnelle les autres avaient des costumes d'astronautes, mais rien n'indiquait leur rang, ni leur appartenance à un autre monde.

Nic improvisa un discours pompeux. Il n'avait rien à craindre, c'était un étranger de marque, un étranger qui pouvait se permettre de passer outre le protocole : il venait de si loin! Il n'avait qu'un but d'ailleurs, se faire accepter comme tel afin de pouvoir jouer plus à l'aise le rôle de candide.

C'est ainsi que le mollah fut accueilli. Ce dernier n'en revenait pas. Pourquoi lui? Pourquoi une telle distinction? Et Nic d'improviser.

— Ces terres sont celles de la naissance de la civilisation humaine. J'ai donc pensé qu'il était sage d'y venir à l'aube d'une nouvelle qui bouleverserait votre monde. Les coutumes sont très diversifiées sur votre planète, j'ai jugé bon de commencer à m'imprégner des vôtres. L'Empereur m'a parlé d'une ville de la paix, si j'en crois la traduction de Jérusalem. Quel symbole plus parlant que de vous choisir dans ce cas, vous qui siégez dans cette ville sacrée! Me permettez-vous d'être indiscret et de vous poser toutes les questions qui à vos yeux, seraient déplacées?

— Je vous en prie, faites, je suis à votre entière disposition, répondit fièrement le docteur. Mais dites-moi, comment dois-je vous appeler.

— Grand Hôdon! répondit sans hésiter Nic, qui jeta un coup d'œil discret vers Rûdâba dont les yeux écarquillés disaient clairement : "Quel culot!"

Le Commandant essaya tout de suite l'efficacité de sa méthode : il faut parfois faire l'âne pour avoir du son.

— Je vois que Muhammad le Grand, doit assister au conseil des ministres. En quoi cela consiste?

— Il me semble que l'Empereur est mieux placé…

— Sur ma planète, c'est une tierce personne qui doit expliquer. Ainsi les explications sont beaucoup plus claires.

L'homme lança un regard inquiet vers Go-Lem. Celui-ci, pris dans le jeu, répondit :

— C'est un très grand honneur…

— Allons-y, je vous suis, commanda Nic.

Toute l'après-midi, l'état perse fut en fait gouverné par un extra terrestre qui jouait à l'Empereur. Parfois Rûdâba soufflait à l'oreille de Nic quelques indications pour soulager le Mollah qui était complètement abasourdi par ses étrangers. Derrière eux l'Empereur suivait ne disant presque rien, si ce n'était que des "Faites! Je vous en prie!…", mais il enregistrait tout. Il n'y eut qu'un moment où le commandant de Hôdo, fut embarrassé.

Un ministre osa remarquer que l'Empereur s'était permis quelques extravagantes libertés, telle que l'amnistie offerte au cours d'un discours païen. Ce fut Nic qui répondit :

— Je croyais qu'il s'agissait d'une formule de bienvenue que le peuple perse nous adressait en montrant une haute civilité. Dois-je en conclure que tel n'est pas le cas?

Nic était allé un peu trop loin dans son audace, car un autre ministre affublé d'un uniforme militaire s'exclama : "qu'est-ce qui nous prouve tout compte fait que vous n'êtes pas un imposteur!"

— Je vous comprends, parfaitement! Quel genre de preuves voulez-vous? Que je me métamorphose en monstre vert! Il m'est impossible de changer ma structure actuelle. Voulez-vous que je vous montre notre technologie? Prouvez-nous tout d'abord que la Terre n'est pas un danger pour nous! Je crois d'ailleurs que nous n'en prenons pas la bonne voie. Ou voulez-vous que je vous montre ma puissance de destruction? Elle ne tardera pas si vous tentez quoi que ce soit à mon égard. Nous sommes pourtant un peuple pacifique. Mais pas fou. Nous avons déjà des accords avec certaines communautés de votre planète. Voulez-vous en prendre connaissances. Dans quelques jours vous les aurez, si vous vivez d'ici là. En attendant, permettez-moi, de vous offrir un petit quelque chose qui vous montrera qui nous sommes.

— Il faut que Chica vienne avec les deux boîtes scellées portant le sceaux d'Adela.

Les ministres le regardaient, surpris qu'il lançât un tel ordre tout en ne s'adressant à personne. En fait, l'Empereur se chargeait de transmettre l'appel à Chica. C'était bien commode des androïdes pour jouer l'extra terrestre télépathe.

— Vous l'aurez votre preuve, hommes de peu de foi! continua Nic à l'adresse de l'assemblée.

Le Mollah essaya pendant ce temps de calmer le jeu. Il se sentait responsable de ce qui arrivait. S'il s'avérait qu'il était victime d'une supercherie il avait tout à craindre de la justice de son peuple. Au contraire, s'il était l'artisan d'une relation diplomatique entre deux mondes, il avait beaucoup à gagner.

Chica arriva, portant les deux objets qu'elle posa sur la table devant les ministres. Le mouvement de recul n'échappa point à Nic.

— Ne craignez rien de la grosse boîte, elle n'est pas dangereuse. Transparence! ordonna-t-il dans le langage secret d'Héliopolis que lui-même et Chica avaient appris d'Adela.

La gynoïde commanda à distance le caisson médical pour qu'il devint transparent. Les ministres regardaient incrédules l'être chimérique qui se mouvait dans le cube : une méduse dotée d'une paire d'yeux.

— Je vous présente mon épouse, médecin de notre expédition. Je suis désolé de vous la présenter nue, nous n'avons pas besoin de vêtement sous l'eau. Prenez le caisson, fit-il au militaire et montrez-le à l'assemblée.

Il savait qu'en parlant ainsi l'homme serait surpris du poids du coffre que Chica avait posé comme un plume devant eux.

— Et que contient l'autre?

— J'espère que vous ne le verrez pas. Regardez plutôt sur vos allinone.

Et Nic prononça toujours dans la langue d'Adela : "Affiche les images médicale de la peste rouge."

— Qu'est-ce s'écria un ministre effaré, à la vue des images qui montrait aussi bien des hommes, des animaux inconnus et même du matériel recouvert d'une moisissure rougeâtre?

— Le contenu des flacons de cette malle. Vous constaterez qu'il attaque aussi les humains.

La menace était devenue trop claire. Demander d'autres preuves eût été périlleux.

Le soir venu, Rûdâba avoua son étonnement au commandant :

— Vous aviez tout prévu?

— On ne prévoit jamais tout. Mais je connais pas mal les hommes. Et toi, qu'en penses-tu, d'avoir retrouvé ta Perse natale?

— C'est curieux, je ne reconnais plus les miens!

Nic haussa les épaules. Je crois que ce symptôme, des argonautes aux astronautes, nous l'avons tous connu. Le pire, c'est pour ceux qui se sentent étranger partout. Mais toi, tu as ta terre.