planète Hôdo
Tome I, Pionniers
Chapitre 8. Passagers clandestins.

Le Livingstone était doté du centre hospitalier le plus sophistiqué du monde tant en efficacité qu'en miniaturisation. Il était réparti dans quatre modules: les H0, H3, H6, H9, car malgré la miniaturisation due surtout à la limitation de consommation d'énergie, le matériel était nombreux et parfois imposant. Les autres modules étaient dotés d'une infirmerie de premiers soins que tout astronaute savait utiliser.

Les dispensaires n'accueillaient que les urgences puisque les malades restaient dans leur chambre, et que, au moins une fois par jour, chaque médecin rendait visite aux patients de leur secteur. Celui du H6 comprenait les deux astro-labs de recherche et celui d'observation. Il était baptisé, abusivement, Chinatown à cause de la proportion importante d'asiatiques qui y vivaient. En effet, trois passagers sur quatre de ce groupe de modules représentaient des peuples du Yémen aux Tchouktches, de l'Oural à Java. Gus Arrow, le très susceptible ingénieur de Nic, aurait contesté très probablement cette répartition. Pourtant, la population du Livingstone était un échantillon statistiquement représentatif des populations terriennes, mais il était impossible d'en avoir une image exacte. Quant aux diverses spécialités de l'équipage, elles ne répondaient qu'aux impératifs d'un voyage de découverte.

L'arrivée du Commandant, provoqua un chamboulement dans les habitudes de la clinique du H6 comme s'il s'agissait d'une tournée d'inspection surprise. Mais rapidement, les praticiens se rendirent compte que Nic était épuisé. Il refusait pourtant de se reposer. Ytzhak resta au chevet de son chef alité pratiquement de force, écoutant patiemment la voix faible qui donnait des ordres à transmettre à Stella.

Déjà, Prosper Jibahu et Condor Quispe prévenus par l'équipe médicale du H6, étaient en route avec une civière pour ramener le chef dans son module. Le duo fut rapidement rejoint par deux gendarmes et Gus, le seul astronaute ingénieur qui restait en pleine forme. Katsutoshi avait conseillé au pompier amérindien, son second, de choisir pour gendarmes, la femme maure au visage masqué et le "ninja". Ninja était le nom que s'étaient donnés les membres de la section armée des SDF à cause de leur uniforme noir "emprunté" à la police d'intervention et au passe-montagne qui cachait leur visage.

Les chômeurs et sans abri s'étaient peu à peu organisés en marge de la société qui les avaient abandonnés, puis chassés et même exterminés. Car cela ne suffisait plus de détruire leurs habitations de fortune, de raser leur bidonville. En effet, leur présence envahissante donnait mauvaise conscience aux braves gens, surtout à ceux qui payaient péniblement les impôts… de solidarité. Alors, un maire, bientôt suivi par beaucoup d'autres, eut l'idée d'offrir à ces pauvres hères un peu de baume au cœur, un peu de chaleur pour l'hiver. Quoi de plus simple que la plus populaire des drogues? l'alcool. Cela coûtait moins cher de donner du whisky et de la vodka, de nom seulement, et de plus frelatés au fur et mesure de la déchéance du consommateur qui n'avait souvent rien d'autre pour son estomac vide. Mais tous ces déchus de la société ne tombèrent pas dans le piège. Une véritable organisation s'était montée. Quatre groupes s'étaient spécialisés. Les "mineurs" construisaient des catacombes modernes sous les mégalopoles pour créer des refuges inexpugnables, et les "montagnards" repeuplaient les villages abandonnés. Les "ninja" exploitaient les réseaux souterrains pour piller. C'était ce dernier groupe qui avait en plus la tâche de ramener les âmes égarées de la surface dans les galeries où les épaves humaines seraient soumises aux cures de désintoxication carcérale avant d'être remis aux mains des "hospitaliers" qui reliaient les rats des villes à ceux des champs.

Les détrousseurs ninja se présentaient comme des Robins des bois ou des redoutables justiciers dignes de Zorro. Mais la police s'en accommodait. Si un financier véreux échappait à ce qui restait de justice officielle, une horde silencieuse surgie des caves se chargeait de le dépouiller "pour les pauvres" , et de l'abandonner nu comme un ver sous un pont. Quant au vandale qui se réveillait à l'hôpital, il pouvait s'estimer heureux d'être moins diminué que celui qui eut l'imprudence de violenter une prostituée. Bien que l'odeur de sainteté se mêlât souvent aux relents âcres du soufre, les "ninja" avaient pourtant acquis autant de sympathie que de crainte, surtout depuis qu'un groupe se dédiait au châtiment des pédophiles, proxénètes ou clients, violeurs ou incestueux. Il était vrai aussi que ces obscurs justiciers mettaient un point d'honneur, tels les légendaires chevaliers du Moyen âge, à ne commettre aucun meurtre si ce n'était pour sauver une vie. Dans le doute, ils se contentaient de menaces, voire d'un passage à tabac. En revanche, en flagrant délit, ils appliquaient toujours la loi du talion, punissant à l'image du crime commis. Il n'était pas rare qu'une ombre furtive vienne droguer aux limites de l'overdose l'imprudent marchand de drogue qui ne s'était pas barricadé chez lui avant la tombée de la nuit. On citait aussi pour l'exemple, l'incident diplomatique qui fut créé par la disparition d'un important ministre impliqué dans un trafic de chair et qui fut retrouvé, deux semaines plus tard, enchaîné dans un bordel masculin. Cette affaire ne put être complètement étouffée, les "ninjas" colportaient l'information.

Katsutoshi était lui aussi séduit par l'esprit chevaleresque de ce soldat qui lui rappelait bien des héros légendaires de son île. Mais, il considérait que le titre de "ninja" convenait mieux à la femme. Son agilité et sa ruse surprenantes en faisaient une guerrière redoutable et la plupart du temps inattaquable. Tous deux étaient, en tout cas, experts dans l'art de la planque. Il était donc normal de penser qu'ils seraient à même de débusquer tout indice qui permettrait de faire avancer l'enquête qui traînait depuis presque cinq jours.

Nic pensait même amèrement que son incompétence en la matière s'éternisait à ne plus en finir, et il lui était difficile de trouver un sommeil récupérateur. Jeanne n'était plus alitée et pouvait maintenant se déplacer librement. En général, l'immobilisation semblait de courte durée. Ce fut avec plaisir que le Commandant reçut la visite de sa femme. L'écouter, bien qu'elle ne disait souvent que des banalités, le distrayait momentanément de ses préoccupations.

La seule anecdote qui intéressa particulièrement Nic fut qu'Adela se portait comme un charme. Jeanne supposait que les techniques ésotériques d'Héliopolis protégeaient l'Egyptienne de la grippe. En tout cas, cette dernière avait une prédilection pour l'un de ses patients? le Japonais.

Le soir, ce fut au tour de Stella de venir auprès du commandant. Elle s'acquittait bien du remplacement de Jeanne aux communications. Il n'y avait pas de messages particuliers échangés entre le vaisseau et l'extérieur si ce n'était que des informations techniques concernant la trajectoire et le prochain point de rendez-vous.

Ce fut seulement le lendemain matin qu'elle annonça la nouvelle à Nic. Elle l'avait appris tard dans la nuit, et elle ne voulait pas réveiller son chef qui dormait profondément.

Deux passagers clandestins, des journalistes, avaient réussi à s'introduire à bord et s'étaient cachés dans des lits-sarcophage destinés aux hôpitaux du vaisseau, des lits de rechange commandés par le chef médecin, et qui n'avaient même pas été vérifiés ni avant ni après l'embarquement.

Le Livingstone ne disposait pas de prison, aussi, les deux hommes furent momentanément gardés dans le dispensaire du H0 sous la surveillance de l'équipe de Betty tandis que les deux soldats se reposaient.

Les deux intrus étaient connus de Nic qui fut surpris de les voir réunis dans l'aventure. L'un était un vulgarisateur scientifique, mais l'autre s'était spécialisé dans les scandales, l'intoxication, toutes les sales besognes de dénigrer de déstabiliser par la médisance ou la calomnie soigneusement distillée, sournoisement rétractée au conditionnel afin de dire sans jamais affirmer.

Comme il fallait s'y attendre, le secret prétendument déontologique des journalistes leur interdisait de dévoiler comment ils avaient pu se glisser dans les caisses médicales qui devaient être chargées sur le Sea-morgh'N. Ils avaient eu sûrement des complices, peut-être même à bord ou au sein de la CIES. Peut-être même avaient-ils été commandités. Il était de notoriété publique que les journalistes offraient une pépinière d'espions à la solde souvent du plus offrant. L'indépendance acquise par le réseau mondiale leur avait apporté, en plus de la liberté d'expression, la précarité des revenus, et comme l'expliquait un jour Richard, le journaliste aux sales affaires, il n'existe que deux groupes sociaux, d'une part, les prostituées et leurs proxénètes, et d'autre part les mercenaires. Il avait choisi, comme bien d'autre, le second. Peu lui importait quelle idéologie le payait, du moment qu'elle payait bien. La gestion des ressources humaines ressemblait d'ailleurs plus à de la gestion de stock et lui, se chargeait d'éliminer les surplus.

Ainsi, Richard de Troie s'enorgueillissait d'être l'homme qui pouvait sourire en même temps que tuer. Tuer? Ne le faisait-il qu'avec des mots? Il avait été correspondant de guerre et on prétendait qu'il avait reçu un entraînement de commando. On avait souvent remarqué sa présence incroyablement rapide sur les lieux d'un crime crapuleux et les polices l'avaient plus d'une fois soupçonné d'avoir "fabriqué" son scoop.

Quant à l'autre journaliste, il ne devait être là que comme conseiller technique. La nervosité qu'il trahissait à l'interrogatoire indiquait clairement qu'il fut enrôlé dans une mission qui le dépassait. Il avait été recruté par Richard en personne, et bien qu'il n'appréciât pas son collègue, il accepta avec joie de faire partie d'un voyage pour lequel il s'était porté volontaire mais, à sa grande déception, sans être élu. En tout cas, c'était lui le porteur du virus de la grippe qui infectait maintenant le vaisseau. La source du mal était enfin trouvée, pourtant il restait le difficile problème d'éliminer cette plaie.

Il fallait ensuite loger ces clandestins. Certes, il y avait deux chambres libres. Nic ne voyait pas d'inconvénient à attribuer l'une d'elle à l'un des nouveaux venus, mais n'envisageait pas de laisser Richard libre de vaquer à son aise et de perpétrer d'autres crimes s'il était vraiment le tueur recherché. Il ne voyait qu'une solution, réorganiser plusieurs quartiers afin de surveiller et limiter les déplacements du principal suspect.

Le commandant se sentait encore trop faible pour penser efficacement et préféra se laisser un peu de répit en convoquant Agnon. Il considérait qu'un bon chef devait toujours reconnaître et ses erreurs et les qualités des autres. C'était l'occasion de féliciter personnellement celui qu'il avait injustement discrédité.

Nic exploitait souvent ce stratagème pour résoudre toute énigme qui surgissait à l'improviste et qui ne requérait pas de réponse urgente. Dès qu'il se formulait clairement l'énoncé du problème, il tournait ses pensées vers une autre préoccupation, laissant germer un faisceau de solutions qu'il décortiquerait plus tard.

Mais il ne seyait pas au commandant du vaisseau de recevoir alité un visiteur n'appartenant pas au cercle des intimes, aussi, péniblement, alla-t-il s'asseoir à son bureau, où il essaya de se concentrer sur des dossiers en instance.

Une explosion le fit sursauter. Il écarquilla les yeux et, ahuri, constata que tout était retourné. Soudain, il comprit en voyant la biosociologue chinoise lui tendre les mains pour le relever. Il s'était assoupi et affalé avec fracas sur le sol. La Chinoise venait juste de s'introduire dans la chambre pour prendre de ses nouvelles. Les astronautes s'enfermaient rarement, et quand une porte était ouverte, il était implicitement permis de s'introduire dans la pièce.

Agnon connaissait cette coutume mais préféra s'annoncer. Mieux, il attendit sans broncher que Nic lui expliquât la situation. Mais le commandant n'était pas dupe. Il savait que l'informaticien était déjà au courant. D'ailleurs, les regards du Juif fixaient plus la belle asiatique qui était restée en retrait plutôt que son interlocuteur qui ne put s'empêcher de sourire en se rappelant qu'Ytzhak lui avait avoué sa passion pour Cheng.

Mais l'apparente maîtrise d'Agnon fut ébranlée quand Nic le félicita de l'avoir si bien inspiré, puis secondé alors qu'il était terrassé par les fièvres de la grippe. La modestie n'était pas le fort de l'Israélite et il lui en coûtait de rester impassible face à son chef et à son idole féminine. Aussi, lança-t-il la première idée qui lui traversa l'esprit afin de faire diversion.

— Et que comptez vous faire de ce Richard? Vous ne pouvez le mettre au fer comme dans les vaisseaux de Christophe Colomb. Ni le jeter par-dessus bord. Ni en faire un Robinson Crusoé, perdu avec je ne sais quel jour de la semaine, sur un astéroïde?

— Et pourquoi pas?

— Vous ne chercherez ni à le tuer, ni à avoir une bouche inutile à nourrir. Me tromperais-je?

— Et vous avez une idée de génie?

— Savez-vous que ma voisine, la Sénégalaise, m'a expliqué que l'esclavagisme était une forme de châtiment, avec ses remises de peine attribuée par les sociétés primitives qui ignoraient l'incarcération?

Nic fixa éberlué Ytzhak. Etait-ce une forme d'humour qui lui échappait? Quelque allusion à la Bible? A sa surprise la Chinoise enchaîna.

— Je sais, de même que la loi du Talion fut probablement inventée pour éviter l'escalade de la vindicte. La miséricorde chrétienne en généralisant le Grand Pardon justifia bien des galères. Puis, les traitements psychiatriques vinrent remplacer le purgatoire d'un Dieu qui n'avait plus de raison, ni parfois même de droit d'exister dans un monde athée. Mais quelle perte de temps! Les récidivistes simulaient leur "guérison sociale" et les opposants trouvaient le moyen de propager leurs idées avant de perdre la tête, même s'ils ne venaient plus grossir le rang des martyrs. Alors, la neurobiologie arriva avec ses effaceurs de mémoire. Tout biosociologue apprend la relativité de la Loi et de la Justice. La Vérité n'est pas quelque chose de statique. Et ce qui semble bon aujourd'hui ne l'était pas hier et ne le sera plus demain.

— Pures hypothèses que vous avancez là! fit l'Israélite en esquissant un sourire ironique.

— Non! Un simple raccourci de vulgarisation, sûrement trop simple, mais je ne me vois pas vous enseigner la biosociologie entre deux portes, ni vous parler du tao.

— Excusez-moi, je ne voulais pas vous blesser, mais il me semblait que c'était…

— Pas à la hauteur de votre culture?

— Je ne dis pas ça! Disons plutôt que vous me laissez sur ma faim. Je ne connais rien de votre profession et vous semblez si jeune.

— Je parais jeune, sans doute, parce que vous vous sentez trop vieux pour moi, fit la Chinoise en souriant. Quant à ma profession, sachez que j'ai aussi une maîtrise de physique afin de pouvoir mieux expliquer les théories de la dynamique des sociétés.

Agnon s'en voulait d'avoir aussi stupidement affiché son désir de supériorité intellectuelle. Ce n'était sûrement pas ainsi qu'il allait conquérir cette charmante asiatique. Encore un échec! Il se retourna vers Nic dans l'espoir de trouver une diversion à ce dialogue qui tournait mal. Mais le commandant, qui n'était vraiment pas au mieux de sa forme semblait sur le point de s'endormir.

— Vous semblez étonné de ma jeunesse ou de mes diplômes? Pourtant vous qui manipulez les bases de données de ce vaisseau, devez savoir que nous sommes tous jeunes, sauf le Commandant, sa femme et un savant, et tous doués, voire surdoués en un domaine quelconque.

— Même cet émir?

— Cet émir, comme vous dites, était un excellent joaillier. Certes, une activité complètement inutile dans un voyage comme celui-ci. Mais nous n'avions vraisemblablement pas le choix. Et puis, n'est-ce pas non plus une facette de la culture de l'humanité?

— Pff! fit dédaigneusement l'administrateur, maintenant il existe autant d'automates que d'artisanats. N'importe qui peut faire n'importe quoi.

— Oui, mais pas n'importe comment. Ici, il n'y a que des experts. Et ne critiquez pas ces automates, ou ces robots, sans eux, le chômage dépasserait sûrement les cinquante pour cent. Ces engins, néfastes pour l'emploi à un certain moment, permirent à beaucoup de gens de se lancer dans de nouvelles activités.

— Et pourtant, la moitié des recrues du vaisseau étaient des chômeurs au moment de leur recrutement. Vous n'allez pas me faire croire que ce sont des génies!

— Mais si! Les automates sont chers et les huit dixièmes de la population terrestre sont trop pauvres pour se permettre le luxe de s'en procurer. Maintenant, il faut payer pour travailler. Certains comme vous ou moi ont eu de la chance. Mais ce n'est pas le cas de la majorité.

Ytzhak jeta un coup d'œil vers Nic qui semblait s'être assoupi. Il se sentait mal à l'aise depuis qu'il s'était rendu compte que leur hôte ne participait plus à la conversation.

— Ce n'est peut-être ni le lieu ni le moment de discuter, fit-il en baissant la voix et en montrant d'un mouvement de tête vers le commandant.

— Non! continuez! votre bavardage me tient éveillé, fit Nic, en levant une main lasse sans ouvrir les yeux.

Cheng-Yi s'en était déjà douté. Son chef était de cette catégorie d'hommes qui pouvaient s'isoler au sein d'un groupe, et qui préféraient les verbiages de la foule aux gazouillis de la nature. Elle connaissait trop le genre humain pour ne pas deviner les motifs profonds qui poussaient Nic à tolérer sa présence et celle de l'administrateur. Elle savait qu'elle séduisait son chef. Un mot, un regard, une attention suffisait pour trahir les pensées secrètes ou les amours courtoises. Elle n'en ressentait rien, ni honneur, ni offense. Elle ne pensait même pas s'en servir. Pour la Chinoise, c'était une manifestation de la création, comme une perle de rosée qui brille au soleil levant sur le pétale fraîchement déployé de la rose et qui interpelle le regard de ceux qui savent observer le monde. L'Israélite, en plus du bruit de fond que cet insatiable parleur était capable de produire, servait à son insu de prétexte à la conscience de Nic.

Ainsi, Cheng ne fut pas surprise lorsque le Commandant insista pour que ces deux invités s'installent sur les strapontins et assistent aux différentes interventions du Maître à bord qui luttait de toute sa volonté contre l'envahisseur, une grippe bien terrienne.

Peu à peu, Nic reprenait le contrôle du vaisseau négligeant la présence du couple qui se taisait. Agnon se sentait mal à l'aise. Il avait l'impression d'être un figurant dans une pièce dont il ne comprenait pas le rôle. Chaque fois qu'il faisait mine de vouloir se retirer, il recevait l'ordre — cela ressemblait bien à un ordre — de rester tranquillement dans son coin, comme un animal domestique. Il eût souhaité continuer à bavarder avec Cheng, mais ailleurs et dans d'autres circonstances. Il écouta passivement les instructions fournies à Katsutoshi pour loger Richard et les deux militaires qui l'avaient découvert dans le module H8, l'un des deux astro-lab destinés à l'entretien des milanautes et habités par seulement seize astronautes. L'un des trois astronautes remplacerait le blanchisseur, tandis que la chambre de l'émir serait attribuée au deuxième journaliste.

Quand Nic eut fini de distribuer les consignes, il se tourna vers Cheng et Ytzhak.

— Voilà! Vous avez du travail! Il faut vous assurer que ces aménagements sont judicieux. Mais avant, restez encore avec moi. Vous serez aux premières loges pour assister au grand saut.

— C'est pour bientôt! s'étrangla l'administrateur.

Nic sourit en guise de réponse

— Venez plutôt m'aider à me rendre dans la cabine de pilotage. Il y a plus de place et de choses à voir.

Il pouvait marcher seul mais ses jambes lui semblaient si faibles qu'il craignait de trébucher à chaque pas.