planète Hôdo
Tome I, Pionniers
Chapitre 25. Nana.

A la demande de Nic, Diana consulta les rapports des biologistes et des médecins. L'adaptation des Hôdons ne se passait pas trop mal jusqu'à présent, leur santé était surveillée de près par les équipes médicales autant sur le plan psychique que physique. Toutes les nouvelles maladies avaient été rapidement cernées et souvent, les guérisons étaient spontanées après une période de repos absolu dans les sarcophages. Les Hôdons avaient même l'impression de vivre mieux dans leur nouvel habitat que sur Terre. Il était vrai que la pollution, le stress permanent ou le désœuvrement total y était absent. Pour la première fois même, l'application du "biorythme résonnant" était scrupuleusement appliqué. Les Hôdons qui étaient déjà des gens sains et vigoureux choisis pour l'expédition offraient naturellement une résistance efficace aux aliens microscopiques. D'ailleurs, nombres de ces hôtes ignoraient l'organisme humain, lequel était en comparaison beaucoup plus agressif. Ainsi, les mycoses ne résistaient guère aux traitements acides et, parfois, la sueur suffisait à les combattre.

Bien sûr, il y avait parfois des incidents, une colopathie aiguë et spectaculaire fut provoquée par l'ingestion inattendue de spores. Le malade souffrait encore mais ne voyait pas sa vie en péril. Sur le site de Rio, la base secondaire, une spore provoquait par inhalation des phénomènes étranges mais si légers qu'ils ne furent pas mis rapidement en évidence. En faibles quantités, un lichen émanait un anesthésiant induisant chez les victimes, une somnolence ou au moins un relâchement de concentration, ce qui ne s'avérait néfaste que lors de la manipulation d'engins ou de produits dangereux.

Pour le reste, les quatre détecteurs microbiens semblaient fonctionner convenablement. Systématiquement, toute bactérie, tout virus intercepté dans la machine était analysé, classifié et même l'antibiotique ou l'anticorps fut modélisé par anticipation. Mais la moisson ne semblait guère virulente pour l'humanité. Les scientifiques pensaient que ce manque d'agressivité de Hôdo était dû au faible développement animal hors du monde aquatique. Mais celui-ci regorgeait de germes en tout genre, et potentiellement hostiles. Pourtant, avec prudence, l'acclimatation à la planète était passée au stade de la maîtrise du précieux liquide que l'on pouvait enfin consommer. Les baignades furent même autorisées sur le site de Rio à proximité des cascades.

C'étaient surtout les femmes enceintes qui préoccupaient le corps médical. Celui-ci redoutait que certaines infections passant inaperçues soient nocives pour le fœtus.

— J'aimerais que tu me donnes des informations concernant les épidémies les plus mortelles, demanda finalement Nic à Diana.

— Ce n'est pas ma spécialité, répondit la Brésilienne en passant la main dans sa chevelure artistiquement ébouriffée dont elle avait teintée cette fois des mèches éparses d'or fluo. Je crois qu'il y avait une fièvre hémorragique qui défraya la chronique dans le passé, il y a eu aussi diverses pestes, une épidémie longtemps restée invaincue qui amoindrissait les résistances immunitaires et plusieurs maladies s'attaquant au système nerveux et particulièrement au cerveau. Pourquoi ne poserais-tu pas cette question à des gens plus compétents que moi en la matière?

— Une idée. Essaie malgré tout.

Diana, soupira. Le fait d'être le chef des scientifiques de l'expédition laissait souvent croire aux autres, les non-scientifiques, qu'elle savait tout. Néanmoins, elle interrogea l'ordinateur et trouva rapidement une foule de détails sur l'ébola, le sida, et d'autres chroniques parfois encore plus macabres de l'histoire de l'humanité. La femme ne put s'empêcher de tressaillir devant le panorama funeste qui avait souvent frappé la Terre et parfois à partir du vingtième siècle par l'imprudente impudence de l'homme lui-même.

Pendant toute cette recherche sur les maladies passées et éventuellement possibles, Frans était resté dans son bureau avec l'androïde qu'il continuait à éduquer. Nic l'appela afin qu'il vienne les rejoindre, accompagné de Nana.

— Ca te suffit? demanda la femme.

— Non. Je voudrais un maximum d'informations sur les maladies restées longtemps incurables. Mieux, je voudrais que tu me trouves une de ces épidémies foudroyantes.

Diana écarquilla les yeux avant de murmurer, perplexe, "bien comme tu voudras."

Nic lisait attentivement les informations que lui présentait le chercheur, du moins, celles qui étaient compréhensibles pour le commun des mortels, d'ailleurs, Diana sautait les notes trop spécialisées. Parfois il se permettait une question? un prion? c'est quoi çà?", mais souvent, il lui fallait faire l'impasse et se contenter d'une vague idée sur l'ampleur des dégâts et la difficulté de cerner un invisible ennemi. Lui aussi ressentait parfois de l'écœurement face aux monstruosités commises par l'homme. Peu à peu, sa recherche documentaire le conduisait vers d'autres domaines? les toxiques biochimiques ou les irradiations.

Finalement, Nic cessa d'interroger Diana et resta muet, impressionné par tant d'abomination. Il se ressaisit et fit éteindre le grand allinone. Il en savait assez. Il réclama la présence de Frans et de son engin humanoïde dans le bureau de la Brésilienne qui se demandait où voulait en venir le commandant de plus en plus énigmatique.

— Vous fabriquiez quoi ensemble? questionna-t-il à l'adresse du cogniticien et de l'androïde.

— Oh, pour l'instant, je recense plus les acquis de Nana qu'autre chose. Il est indispensable que je sache au préalable ce qu'on lui a mis dans la tête.

— Je croyais que sa tête était notre cerveau optronique.

— C'est un petit peu plus compliqué que çà. J'utiliserais bien une autre image pour éclairer votre lanterne, mais je redoute toujours d'être pris au mot. Je dirais que le robot possède une âme, une étincelle de vie si volumineuse qu'il n'y a plus d'espace disponible pour y loger l'intelligence et les connaissances minimales qui lui permettraient d'avoir un vrai comportement humain. Nana est en quelque sorte dotée d'un cervelet de la taille d'un cerveau, et son cortex est notre ordinateur. Il est logique qu'elle ait un minimum d'autonomie, sinon, comment expliqueriez-vous ces voyages hors de portée de toute communication avec l'ordinateur central.

— C'est précisément ce que moi aussi, je voulais étudier.

— Ah bon! s'étonna Frans qui se demandait comment quelqu'un qui n'avait sans doute que de vagues connaissances en cybernétique pouvait s'y prendre pour analyser un androïde si complexe.

Sans tenir compte de l'exclamation sceptique du professionnel, Nic interrogea Nana. Il ne fut point surpris lorsque l'androïde révéla qu'il était au courant de ses investigations sur les fléaux les plus virulents qui avaient à une époque ou à une autre décimé l'humanité. Mais, là où il resta interdit, fut lorsque le robot assimila l'homme à un vecteur aussi nuisible que le moustique ou la vinchuca.

— On dirait que votre machine assimile vite et tire aisément ses propres conclusions, commenta le commandant à Frans.

— Je me tue à répéter qu'il s'agit d'une machine intelligente.

— Alors pourquoi cette crainte qu'un candide, comme moi, sonde les pensée de Nana?

Frans comprit l'allusion de Nic et ne sut que répondre. Le chef savait déjà que l'androïde était au courant de toute l'activité des Hôdons. Tout ce qui circulait dans le réseau informatique était "perçu" par le robot. Or, tout, absolument tout, circulait à travers le réseau. Une idée traversa l'esprit de Nic qui posa?

— Nana, pouvez-vous me dire qui lit la Torah?

— Maintenant, personne. Avant, je ne l'ai pas mémorisé. Dois-je dire quelles seraient les personnes susceptibles de la lire?

Nic se gratta les joues barbues. Il espérait bien que le rabbin au moins la lise quotidiennement sinon ce test ne servirait à rien. Il y avait sûrement dans l'expédition un aumônier qui devait consulter ses saintes écritures.

— Et la Bible? et le Coran?

— Je répondrais de la même manière.

— Que fait Quispe, maintenant?

Nana sembla à peine perturbée par le changement brutal de sujet. En tout cas, le visage était trop peu élaboré et les émotions inexistantes ou trop peu acquises, ne pouvaient nuancer la plastique de poupée.

— Il dort.

Donc Nana interprétait le bracelet médical que beaucoup de personnes consciencieuses comme le chef des pompiers portaient sur soi, jour et nuit.

— Et ma femme?

— Elle lit un roman intitulé…

— Ca va, merci! Vous pouvez savoir ce que font les gens maintenant mais pas nécessairement vous rappeler de ce qu'ils ont fait.

— Effectivement. Je n'avais pas de motif de les écouter.

— Alors pourquoi savez-vous ce que, moi, j'ai fait?

— Parce que vous êtes le chef et parce que vous parliez de la santé des humains que vous nommez Hôdons.

L'espion pouvait tout entendre, mais ne prêtait attention qu'à ce qui lui avait été indiqué et çà, c'était du ressort de Frans. A moins que…

— Qui d'autre, devez-vous écouter?

— Tomonaga, Wu et Nefertiti.

— Nous quatre seulement!

— Je confirme.

— Et comment comptez-vous stocker toutes les informations utiles vers la Terre.

— Il me suffit de mémoriser la base de données. Ensuite, mes connaissances acquises sur le terrain seront analysées par des spécialistes comme le fait Frans.

Il était inutile de demander ce qui se passerait si l'androïde ne revenait pas sur la planète mère? un autre serait envoyé, avec le risque d'être plus sophistiqué. Toutefois il demanda la réaction de la machine s'il lui intimait l'ordre de rester sur Hôdon. Mais il n'y avait aucun conflit possible pour Nana. Elle avait le devoir prioritaire de revenir chez ses "pères" dans un délai qui ne supportait aucun retard.

— Et qu'arriverait-il si vous mourriez?

C'était sciemment que Nic choisit les mots.

— Mourir? Ce mot est trop peu précis. Pourtant, il semble qu'il ait une grande importance pour l'homme. Voulez-vous me donner une définition plus appropriée à mon état non humain?

— Faites un effort, utilisez votre… intelligence. Dites-moi ce que vous pensez qu'il s'agisse.

L'humain observait cette machine bâtie à son image, et éprouvait une curieuse sensation lorsqu'elle réfléchissait, car elle avait le regard dans le vague. Enfin l'androïde répondit après une longue seconde de silence.

— L'équivalent de la mort dans mon cas correspondrait à une panne généralisée de toutes mes fonctions, et la destruction de toutes les données de mes deux cerveaux de telle manière qu'aucun autre androïde ne puisse les exploiter.

— Et qu'est ce qui peut provoquer votre décès. Une panne de courant?

— Non, c'est insuffisant. Si cela arrivait, et que mes batteries n'étaient plus capables d'alimenter mon cerveau, ce dernier se gèlerait, devenant une mémoire morte, où toutes mes connaissances, mes acquisitions et mes apprentissages seraient figées. N'importe quelle machine du même type que moi, pourrait alors me réincarner, c'est pour cela que j'ai mes deux copies dans mon tycho-drômes. Si en revanche, c'est mon corps seul qui est détérioré, je peux provoquer le réveil de l'une de mes copies, après quoi, je laisse dépérir l'original. En résumé, pour mourir, il faudrait que je sois totalement anéanti en moins de quelque secondes.

Il se faisait tard, et Nic accumulait des informations que la fatigue empêchait d'exploiter. Il espérait bien leurrer les Terriens, mais la tâche ne semblait pas aussi simple qu'il l'avait espéré. Il avait imaginé de simuler une catastrophe biologique exterminant les Hôdons et un accident ne laissant repartir qu'un seul androïde. Mais ses faits et gestes étaient enregistrés et l'androïde ne semblait pas si facile à manipuler.

— Je vous rends votre joujou, fit-il, à l'adresse de Frans. J'en sais suffisamment pour aujourd'hui. Demain, j'aviserai.

Le cogniticien avait éduqué le robot pour raccompagner ses visiteurs. Quand il se retrouva seul avec le commandant dans le sas, il parla spontanément.

— J'ai noté dans vos propos un certain mépris à mon égard.

Nic ne put s'empêcher de sursauter. Cette remarque lui paraissait si incongrue dans la bouche d'un androïde, qu'il en resta coi. Il se rappelait pourtant bien que la machine avait été programmée pour un autre but que celui de jouer au rapporteur.

— J'en déduis, continua Nana, que vous n'êtes pas satisfait de mes services. Puis-je savoir pourquoi afin de corriger ma programmation.

— Vous avez donc le devoir de me satisfaire?

— C'est écrit.

— Et comment pouvez-vous savoir si je suis content ou pas?

— L'aspect du visage et le timbre de la voix et de plus, dans votre cas, votre bracelet médical qui m'apporte un complément d'informations.

— Et qu'est ce que cela peut vous f…, faire?

— Je dois essayer de changer ma programmation. Si vous pouviez me dire ce qui vous a déplu, cela me faciliterait la tâche.

Nic réfléchit avant de répondre car il n'avait pas prévu ce comportement de Nana.

— Ce qui me gêne, c'est qu'une machine dénuée de sentiment, d'émotion, une machine implacable va servir une cause qui risque d'anéantir le fragile équilibre qui s'instaure sur cette planète, loin des folies, souvent meurtrières de la Terre.

— C'est pour cette raison que vous êtes inquiet de mon départ?

— Oui.

— Vous redoutez que les Terriens ne viennent vous tuer? Pourquoi? Je ne comprends pas.

— Oh, pas précisément tuer, mais d'une manière plus générale, semer le trouble, ramener avec eux le malheur, pour le bonheur d'une minorité, toutes ces choses que vous ne pouvez comprendre, comme aimer ou souffrir.

— Est-ce que la souffrance est une alerte de dysfonctionnement?

— Si on veut.

— Alors, vous vous trompez au moins partiellement, car je souffre quand je détecte votre défiance à mon égard. Quant aux autres questions abordées, je ne peux y répondre tout de suite. M'autorisez-vous à différer l'analyse du problème que vous me soumettez. J'évalue qu'une huitaine d'heures sont nécessaires.

— Je vous en prie Nana, ne dit-on pas que la nuit porte conseil? C'est peut-être valable pour vous aussi. En tout cas, je m'en vais de ce pas mettre en application ce que je viens d'énoncer.

Nic quitta la tente sous la pluie qui s'était remise à tomber. Cette fraîcheur lui ôta un peu de sa fatigue. Il n'osa pas regarder l'heure, de toute manière, le clan de Diana était composé de couche tard. Quand il rentra chez lui, il trouva sa femme en train de lire comme l'avait annoncé Nana. A l'exception de son fils aîné, tous les autres membres dormaient. Mais, il pouvait déjà mettre au courant Jeanne de la première phase à appliquer. Il ne fallait plus que Katsutoshi, Adela et Cheng utilisent le allinone sauf pour des bagatelles. Par contre, pour tout ce qui était important, il ne fallait plus communiquer que par l'intermédiaire de Jeanne elle-même et par Stella qui serait envoyée dès le lendemain sur le site de Rio.