planète Hôdo
Tome I, Pionniers
Chapitre 10. La sortie du tunnel.

Plus d'une heure s'était déjà écoulée quand Nic reçut enfin des nouvelles de Cheng. Aucun dormeur n'avait été affecté par l'étrange folie qui s'était emparée des autres, et donc de la totalité des astronautes qui étaient en activité. Mieux, ceux qui étaient éveillés, ne tentèrent même pas de tirer un éventuel partenaire de son sommeil. Tout se passait comme si les passions amoureuses ne se manifestaient que s'il y avait du répondant. Il y eut quelques cas de jeux à plus de deux acolytes, car tous, sans exception, avaient participé aux ébats. Mais en règle générale, chacun cherchait le compagnon ayant le plus d'affinité, disponible et consentant dans l'entourage immédiat. La biosociologue était convaincue qu'il s'agissait d'une manifestation reptilienne des sentiments corticaux: nous nous trouvons sympathiques donc nous copulons.

Nic enchaîna mentalement "nous nous trouvons antipathiques donc nous nous entre-tuons!"

Si cette théorie s'avérait exacte, il fallait agir, et vite, avant la sortie du miroir. La première personne à rencontrer pour valider le plan qu'il avait commencé à ébaucher était le chef médecin. Adela le rejoindrait dans quelques minutes à l'infirmerie.

Nic se rendit au dispensaire et trouva sa femme toujours alitée. La grippe l'avait sérieusement affectée. Pourtant, elle avait enfin bonne mine, elle était même radieuse. Il en fit le remarque:

— En tout cas, Adela fut bien inspirée avec ses tisanes.

— Oh oui! Je n'avais jamais si bien dormi, et aussi longtemps.

— Mm! Ce serait peut-être une bonne idée de donner une cure de sommeil à tout l'équipage.

— Oh non! pour ma part, ça suffit.

— C'est vrai que tu en sors…

— Pas tout à fait, il y a bien quelques heures que…

— Attends! Tu veux dire que tu as vécu l'entrée du "miroir"?

— De quoi parles-tu?

— Quand nous avons commencé le grand saut, une épidémie de fornication a instantanément contaminé tout le personnel actif.

— Dont toi? Et quelle fut l'heureuse élue? Stella?

— Non, Cheng-Yi Wu. Mais pourquoi supposes-tu que ce fut mon ordonnance?

— Parce qu'elle te cherchait désespérément.

— Mais dis donc, tu as l'air bien au courant toi! Alors, raconte-moi avec qui tu as joué la nymphomane!

— Nymphomane! Du tout, j'ai senti un curieux parfum alors j'ai ouvert les yeux. Je me suis cru plus malade que jamais, car je voyais tout coloré. J'ai vu Prosper qui tournait comme un lion en cage. Je l'ai appelé et puis tout s'est déroulé très vite.

— Et maintenant tu te sens bienheureuse et en pleine en forme, je suppose, comme nous tous?

— C'est bien ce qui me surprend. Normalement, j'en aurais eu honte, ou, sachant que cela t'est arrivé aussi, je m'en serais réjouie comme d'une vengeance.

Nic haussa les épaules en souriant.

— Tu sais, je m'attendais à toutes sortes de catastrophes en me lançant à la conquête de l'inconnu. J'ai imaginé le pire, pas cette aventure.

— Qui ne fut pas si désagréable que ça, n'est-ce pas?

Il ne répondit pas et haussa une seconde fois les épaules, mais cette fois, son sourire était empreint d'un soupçon d'inquiétude, car l'avenir pouvait encore réserver des surprises, moins agréables cette fois.

Adela pénétra dans la pièce, accompagnée de Katsutoshi, et sans ambages annonça la nouvelle.

— Il me semble que la tradition veut que vous soyez la seule personne habilitée à célébrer notre union. Katsutoshi et moi allons nous marier.

Constatant l'ahurissement de Nic, elle continua:

— Et ce n'est qu'un début, il y a fort lieu de croire que vous aurez beaucoup plus de boulot dans neuf mois. Toutes les femmes qui sont montées dans le Livingstone ont été déprogrammées. Selon mes estimations, elles sont statistiquement fécondables, sauf vous, évidemment, Jeanne puisque vous avez deux enfants qui sont à bord. Mais je présume, Nic, que si vous êtes ici, c'est pour consulter le médecin. En ce cas, je propose que vous m'accompagniez dans mon cabinet.

Le commandant secoua la tête. Il ne s'agissait pas d'un problème personnel et la présence de son épouse et du chef de la sécurité n'était pas une gêne. Au contraire, leurs avis pouvaient être utiles.

— Tant mieux! reprit Adela. Je craignais que vous ne vouliez me demander de pratiquer un avortement pour une compagne occasionnelle et que je sois obligée de vous rappeler que ces pratiques barbares sont fortement réglementées depuis que femmes et hommes sont programmables.

— A ce propos, pourquoi Jeanne n'a-t-elle pas été déprogrammée? Je ne crois pas que la règle "Un adulte, un héritier" soit adaptée à une colonisation, d'autant que nous sommes les seuls à avoir des enfants. Et pour preuve, moi, j'ai été déprogrammé dès que je fus affecté à la mission.

— Exacte! Excusez-moi, j'ai tout simplement agi par réflexe.

Nic comprenait. Les lois destinées à réduire la surpopulation étaient draconiennes et les médecins coupables de négligence, sévèrement punis. Pour éviter de s'attarder sur le sujet, Adela crut bon de demander quel serait donc le nom du nouvel enfant de Nic, une manière détournée d'apprendre qui était la mère. car, selon les règles mondialement admises, cet héritier aurait dû s'appeler "Wu Porte". En effet, chacun était identifié par le nom des deux géniteurs, et en premier, celui du tuteur légal. Or, il y avait déjà un "de Charnay Porte" et un "Porte de Charnay". En vertu de cette loi, toute femme qui n'avait pas encore d'héritier pouvait être fécondée par Nic, mais aucune ne lui donnerait plus de lignée. Et si Jeanne avait été fertile, elle aurait pu engendrer un "Jibahu de Charnay".

Nic ne répondit pas. Il n'avait nullement l'intention de dévoiler son aventure. Sans transition, il raconta alors ce que Mikhaïl lui avait dit au sujet de la folie inversée lors de la sortie du "miroir" et des observations rapportées par Cheng sur le comportement de l'équipage.

Le médecin approuva les analyses de la biosociologue. Sa profession et son Eglise lui avaient enseigné comment s'étaient amalgamées diverses strates cérébrales et comment la culture y avait semé la confusion: la sympathie et la sexualité au travers de l'amour, la protection familiale et la reproduction au travers du mariage. Des thèmes que bien des philosophes essayeraient de mettre en concept et bien des scientifiques, en équations. Et à défaut de réponses, bien des religions, pourvues de dieux ou non, imposeraient leurs dogmes. La neuropsychologue avait souvent l'impression d'être borgne au sein d'une majorité d'aveugles. Ah, si au moins tout le monde pouvait avoir un œil en plus!

Nic exposa alors son idée. Il était inutile de rester au poste et de tenter de piloter le vaisseau tant qu'il était enfermé dans sa bulle. Il était impossible de prévoir le moindre danger de collision avant la sortie du "miroir". De même, rien ne permettait de prévoir le comportement des gens à ce moment. Alors, il pensait que le plus sage, était de plonger tout le Sea-morgh'N dans le sommeil. Un sommeil profond, qui devait s'arrêter au bon moment.

Une anesthésie générale appliquée simultanément à mille vingt-huit personnes, même en l'absence de choc opératoire, ne réjouissait guère le médecin. Adela voulut consulter son collègue Prosper, puis vérifier tous les dossiers médicaux avant de se prononcer. Enfin, elle devait se concerter d'une part avec Sissel pour injecter le gaz dans l'atmosphère et avec Diana pour programmer l'arrêt des pompes. La Brésilienne devrait aussi trouver un moyen pour réveiller le Commandant juste avant la sortie du miroir. Tout cela représentait encore quatre heures de travail.

Quatre longues heures à attendre. Nic décida de retourner dans sa chambre. Il ferait un brin de toilette puis irait acheter un bon repas chez le traiteur.

Il fut sur le point de se raser quand tout à coup il décida que l'air d'aventurier lui seyait bien. Et il quitta son module pour se rendre vers l'H2 où il allait errer jusqu'au crépuscule artificiel avant de prendre un bol de café matinal dans l'H10. En pénétrant dans le salon de restauration il vit que Cheng venait de prendre place à une table. Il la rejoignit et pour l'occasion lui offrit l'apéritif et se commanda un whisky. Il était heureux de la retrouver dans cet endroit.

— Dis-moi Cheng, qu'est-ce au juste un biosociologue. Jusqu'à maintenant, dans tous les voyages que j'ai connus, les miens et ceux de mes collègues, je n'avais rencontré que des sociologues… non bio.

Cheng porta aux lèvres le cylindrique, gradué en centimètre cube, modèle unique de verre à boire dans le Sea-morgh'N. Elle sirota une larme du liquide vert puis sans reposer sur la table le récipient qu'elle soutenait délicatement de la main gauche tenta d'expliquer sa profession qui inquiétait bien des gens.

— A l'origine, ce fut un neurologue français qui lança le terme de neuropsychophysiosociologie mais ce nom à rallonge donna naissance à un mot plus court, celui que tu connais. Il faut comprendre qu'il y a le même type de différence entre la socio et la biosocio qu'entre la psychologie et la psychiatrie.

L'idée était trop audacieuse et mit du temps à sortir des labos. Pense donc, réunir trois chapelles aussi distinctes que la sociologie, la psychologie et la biologie. Et encore, ce ne fut possible que lorsqu'un quatrième mousquetaire surgit, la physique. Cette science qui avait déjà influencé et enrichi maintes sciences comme l'astronomie, la géologie et même la biologie, manquait à l'édifice qui se construisait dans les sciences humaines. Je ne voudrais pas t'ennuyer en rentrant dans les détails mathématiques et les protocoles expérimentaux. Sache seulement que nous réussîmes enfin à consolider les diverses connaissances: les théories, souvent contestées, de Freud se virent confortées par la neurostatistique à l'instar de la thermodynamique, science phénoménologique par essence, qui fut rejointe par la mécanique statistique. Enfin, le monde micro et macroscopique s'éclairaient mutuellement. Le plus difficile fut de combler le gouffre avec la sociologie, car comme Freud, il fallait dénoncer bien des tabous, tabous habilement exploités par les détenteurs de pouvoir. Mais je crains que nous ne soyons arrivés trop tard, l'humanité s'entre-déchire dans un monde écologiquement à l'agonie, ce qui en soi n'est pas bien nouveau, mais avec de plus en plus les moyens de se suicider.

Cheng soupira, puis avala d'un trait sa boisson.

Je me demande parfois si l'homme ne redoute pas plus les portes ouvertes sur l'inconnu que les portes fermées… Que manges-tu, demanda-t-elle sans transition?

Nic hésita longtemps avant de choisir un "chili con carne". Il profitait d'être dans un Sea-morgh'N pour goûter certains plats qui lui étaient interdits et dont il était pourtant friand. Ici, ses intestins ne se rebelleraient pas bruyamment contre la présence de haricots et d'épices synthétiques. Cheng voulut connaître les goûts étranges de son compagnon et commanda le même plat.

— Dis donc, ça me donne soif ce machin! s'exclama la femme. Que dirais-tu d'une bière, c'est moi qui l'offre.

Elle quitta la table et s'adressa à l'artisan en lui montrant son allinone où était affichée la composition des agents de sapidité d'une tsingtao. L'homme confirma qu'il pouvait recréer la boisson chinoise. Elle lui demanda de lui préparer deux bouteilles au col enveloppé de papier métallisé, puis revint près de Nic.

— A quoi penses-tu?

— Ce que tu m'as dit sur la confusion entre sympathie et sexualité me laisse perplexe. Au moment où tu t'es précipitée sur moi, j'ai cru que Betty voulait faire le même mouvement.

— Je sais. Elle voulait te montrer combien elle estimait le chef de l'expédition. Mais moi je te voulais et je n'apprécie guère Ytzhak. Alors, elle s'est rabattue sur les deux mâles disponibles, car il y a peu d'hommes qui ne lui plaisent pas. Et puis, vous appartenez à des sociétés où le sexe est tellement prohibé, les hommes tellement inhibés que les femmes doivent être entreprenantes.

— Et puis j'ai appris que Stella me cherchait désespérément…

— Quoi de plus normal? Ne l'as-tu pas recueillie? Tu es tout pour elle. En quoi es-tu choqué? C'est une femme et tu n'es pas son père.

— Tu as beau dire que tout est naturel, je ne m'y fais pas. Le manque d'habitude peut-être, ironisa-t-il.

Il se tut en apercevant l'artisan qui s'approchait d'eux. Il siffla d'admiration. Des bouteilles, des vraies, c'était le grand luxe. Il vida le contenu dans le verre qui lui avait servi pour le whisky et s'apprêta à trinquer quand il se figea. Cheng dégagea délicatement la bague de la bouteille en glissant la dorure vers le fût, agita le liquide en bouchant le récipient avec le pouce jusqu'à ce qu'un jet de mousse blanchâtre en jaillisse violemment, puis but à même le goulot. L'allusion était claire et tout le monde savait qu'il s'agissait d'une invitation, même si, comme c'était le cas pour Nic, c'était la première fois qu'une femme la lui fit ainsi, de manière si directe.

— Ne me prends pas pour une dévergondée, Nic. Tu es le seul homme qui m'ait séduite et tu m'as frustrée par ton foutu sens du devoir qui n'aura peut-être même pas de lendemain. D'ailleurs si tu n'étais pas en manque de quelque chose, errerais-tu par ici au lieu de rester imperturbable à ton poste?

— C'est que… tenta de se défendre Nic, j'ai à tuer quelques heures et ma présence n'est pas indispensable.

— Raison de plus, tu as un instant… Avant ou après les lychees, ils sont très bien imités dans ce salon. Allez! ne fais pas cette tête, viens dans ma cabine.

Il la suivit, hésitant. La passion qui l'avait submergé n'y était plus pour démêler les complexes enchevêtrements de la raison, des sentiments et des sens, n'en déplaise à la biosociologie. Ce n'était pas d'un coup de baguette magique qu'il allait changer son comportement si durement acquis. La porte de la chambre se referma derrière lui avec le bruit inquiétant du piège qui se referme sur l'imprudent explorateur violant le temple secret d'une envoûtante divinité. Et il n'avait ni génie occulté dans une boîte, ni voix céleste pour le guider. Et pourtant, le bip de son allinone vint briser l'ambiance feutrée de ces lieux avant même qu'il pût en faire le tour.

Adela et Prosper s'étaient dépêchés pour apporter leurs conclusions. Il était possible d'anesthésier tout le Livingstone.

— Désolé, Cheng, je crois que cette fois n'est pas encore la bonne. Il n'est pas facile d'être la compagne d'un capitaine de vaisseau.

— Je m'en rends compte, prononça-t-elle avant de lui voler un baiser qui tardait à venir. Puis, elle alla se jeter sur son lit, le visage enfui dans les bras repliés.

Nic sortit sans se retourner. Le visage impassible ne trahissait pas les émois de l'âme. Non seulement, il ne répondait pas aux demandes de Cheng qu'il aimait pourtant, mais en plus il la blessait. S'il eut été plus courageux, il lui aurait refusé toute illusion. Plus libertin, il aurait profité de l'opportunité. Plus fou, il aurait convolé. Mais il fuyait, comme un voleur emportant un inestimable trésor dérobé, celui de se savoir désiré. Et comme un voleur affolé quittant rapidement les lieux de ses méfaits, il trébucha sur Katsutoshi.

— Je vous cherchais, déclama le Japonais sans laisser filtrer la moindre surprise, car c'était évident qu'il l'avait vu bondir du quartier de la Chinoise. Je crois comprendre votre plan. A la sortie de ce tunnel, ce "miroir" comme vous dites, vous prendrez les commandes du Livingstone, prêt à toute éventualité. Les arts martiaux m'ont apporté suffisamment de maîtrise pour croire sans fanfaronnade que je puis vous être utile. Je veux être à vos côtés, Commandant, et être réveillé en même temps que vous.

Après un bref silence, Nic tendit la main à son officier en répondant laconiquement: "O.K.! Suivez-moi!". Le Japonais saisit cette main, qui avait plus de valeur que n'importe quelle autre poignée d'Occidentaux, car jusqu'à cet instant, le Commandant avait toujours gardé ses distances, respectueux du peu de traditions nippones qu'il connaissait.

Ensemble, ils pénétrèrent dans l'infirmerie. Sissel remettait à Adela une bonbonne avant de grimper sur le petit véhicule de pompier qui transportait une citerne remplie d'hypnotique liquéfié.

Le médecin tendit l'objet cylindrique vers Nic en expliquant:

J'ai là-dedans de quoi prélever des échantillons de l'atmosphère respirée lors de l'entrée dans le "miroir". Mais, je pense que je n'aurai pas le temps d'arriver à une conclusion et dans le doute votre plan semble le plus sage. Il vous reste maintenant à préparer tout le monde à ce qui va se passer. Il va de soi que tous devront rester enfermés dans leur lit-sarcophage. Je vous conseille de déployer les coffrages des sièges dans la cabine de pilotage. Dès que Diana aura enseigné à l'ordinateur quand et comment vous réveiller, vous pourrez déclencher l'opération. J'irai rejoindre Sissel dans la salle des machines où nous camperons. Frans et Diana resteront près de l'unité centrale. Mikhaïl souhaiterait être à vos côtés afin de vous avertir de toute anomalie.

— Beau travail, Adela! Bien, que Mikhaïl aille déjà dans le poste de pilotage! Vous savez comment on transforme nos sièges en cercueil, Katsutoshi? Préparez celui de Tcherenkov. Et puisque vous y allez, envoyez Betty dans mon bureau. Si les pilotes vous interrogent, vous pouvez déjà les renseigner. Ils peuvent aussi se préparer. Prévenez-les que c'est mon équipe qui sera de veille. Ah, avant que vous ne partiez, nous serons neuf!

— Qui devrait nous rejoindre?

— L'astronome tutsi.

Quelques instants plus tard, les deux commandants révisaient tout le plan. Les dés étaient jetés et il n'y avait tout compte fait aucune différence entre mourir éveillé ou non. Il était temps de diffuser le message: bonne nuit, les petits enfants…

Nic et Betty ressentirent ensemble la sensation de s'introduire dans un caveau lorsqu'ils revinrent dans la cabine de pilotage. Un silence glacé flottait dans la pièce faiblement éclairée, comme une nuit de pleine lune. On apercevait d'étranges formes lugubres que réfléchissaient les lumières rouges de visions nocturnes. Sans mot dire, Betty s'installa à la place qu'occupait plus tôt Nic qui entendit les trois panneaux se refermer sur les jambes, les cuisses et enfin le buste de sa collègue.

Ce fut son tour. Il soupira profondément afin de rendre plus audible cette respiration qui était seule maintenant. Un dernier coup d'œil sur son allinone. Tout se passait comme prévu. Les indications qui scintillaient dans le panneau ventral étaient correctes. Juste un réglage pour adapter l'écran à sa vue. Une, deux et trois. Emouvant de s'enfermer dans un tombeau. Il se racla la gorge avant d'articuler: "oyé…Opération Belle au Bois dormant… Go!".

Quelque part, l'ordinateur envoya un signal qui commandait l'ouverture d'une vanne. Un gaz se mélangeait à l'oxygène. Bientôt, il dormirait regardant évoluer autour de lui des bulles cristallines aux milles couleurs qui s'entrechoquaient en émettant des bruits de clochettes. Peu à peu, les globes s'évanouissaient dans une palette d'aquarelles. Les teintes perdaient de leur éclat dans un chaos de plus en plus dépourvu de lumière. Néant.

Pourtant, une voix ne cessait de répéter: "sortie imminente"

Soudain, la voix se fit pressante? "trajectoire erronée, sept cent quatorze secondes avant la destruction du Sea-morgh'N"

Nic sursauta. Les yeux fermés percevaient des lueurs rougeâtres au travers de ses paupières. Il les ouvrit, les referma aussitôt ébloui par la lumière ambiante et l'astre de la taille d'un petit pois qui brillait intensément au centre du panneau frontal. Une chance encore que les allinones et autres périphériques informatiques comprenaient les commandes vocales qu'il suffisait de précéder du mot "Oyé" et de finir par "go". Il put opacifier les vitres de son sarcophage et piloter à distance. Ce soleil, juste dans l'axe de la trajectoire ne lui inspirait guère confiance. A première vue, il ressemblait au Soleil vu de Saturne. Il fallait tout de suite changer de trajectoire de vaisseau. Violemment, il sentit son corps s'affaisser dans le siège en même temps que le Livingstone se cabra. La tête projetée vers l'avant eût pu cogner le couvercle du sarcophage s'il n'avait eu la prudence de se sangler. L'alerte, maintenant. Réveiller ses compagnons, vite.

Une voix féminine qu'il reconnaissait bien se fit entendre. "Commandant, je prends les commandes!". C'était Roxane.

— Et Andy? hurla Nic.

— Je calcule la trajectoire, votre correction est insuffisante, il faudrait pousser au maximum, neuf g.

— Quoi! fit Nic, vous oubliez que tous ne sont pas astronautes à bord! La majorité ne tiendra pas le coup pendant plus de quelques secondes. Trois g pas plus. Nous aviserons dans les trente dernières secondes quand nous aurons à choisir entre partir en fumée ou arriver en bouillie s'il faut donner un coup de pouce. En attendant, Roxane et Andy, affinez l'angle de freinage.

Chacun ressentit de nouveau le poids accablant de l'accélération du vaisseau qui devait contourner ce soleil imprévu sur la trajectoire. Les yeux étaient rivés sur l'écran de contrôle qui permettait d'observer les arrières du Sea-morgh'N, car le Livingstone s'était retourné pour la manoeuvre de décélération. Lentement, l'étoile naine grossissait devenant de plus en plus menaçante.

— Donnez-moi les premières estimations de trajectoire, Andy.

— Notre périhélie est évalué à soixante millions de kilomètres dans dix-sept heures.

— Ca ira! Nous ne rôtirons pas trop. Calculez la chaleur subie en chaque point de la courbe et transmettez les à Gus. Qu'il analyse la résistance thermique du vaisseau.